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Michel Duran

par Jean-Jacques BRICAIRE

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Michel Duran * Collection A.R.T.

ou
L’Agressif romantique

Un Lyonnais, comme Pierre Scize (1), Marcel Achard, ou Henri Beraud (2), ses copains, outre qu’il fut auteur dramatique, Michel Duran embrassa les carrières de journaliste, critique cinématographique, acteur, décorateur, dialoguiste de films. Boulimique de travail , on comprend que sa vie privée fut sans histoire, car quel temps aurait-il pu lui consacrer ? On lui doit une bonne douzaine de pièces à succès. « Le théâtre de Michel Duran, c’est le théâtre des illusions perdues, des reconnaissances, des égarements, des surprises d’un amour à fleur de cœur, à fleur de peau, » écrivait Michel Aubriant dans Paris-Théâtre.

(1) Pierre Scize : Journaliste, critique dramatique, grand reporter ( 1894 – 1956)
(2) Henri Beraud : Romancier, journaliste ( 1885 – 1958 )

1. Un jeune loup aux dents longues

Michel Duran est né à Lyon le 22 avril 1900, en plein printemps. Il a fait partie de la bande des Lyonnais décidée à conquérir Paris. Sa mère était couturière et son père gérant  de la célèbre librairie Masson, où venait flâner Henri Béraud.
Un ami d’enfance devenu pion accompagne Michel Duran sur le quai de la gare et le regarde partir avec envie et regret. « Je me rappelle très bien » dit Michel Duran. « Il portait une petite moustache et des lorgnons. Il était vêtu d’un veston noir et d’un pantalon fantaisie, d’un gilet de daim, des guêtres en toile et des manchettes de celluloïd. Il voulait être un grand auteur dramatique comme je voulais moi-même devenir un grand acteur. Il s’appelait Marcel Achard ».

Le voyage s’est passé dans un wagon rempli de militaires, sa tête reposant sur les croquenots d’un zouave, les pieds soutenus par le casque d’un artilleur. En arrivant à Paris, il est accueilli par Pierre Scize qui fut la providence de tous les Lyonnais débarquant du train. Achard ne tardera pas à le rejoindre et ils vont habiter ensemble dans une chambre rue Chauchat éclairée par une tabatière. Ils connaissent cette période bénie où la vache enragée ne veut pas forcément dire la misère, la tristesse ou la désespérance. Même dans les passages les plus noirs, il se trouvait toujours un copain qui ouvrait sa table et offrait son amitié. Le premier soin de Michel fut de se faire un nom en supprimant la dernière lettre du sien. Marcel Achard et lui besognaient en faisant de la figuration dans de sombres drames historiques. L’occasion leur fut donnée de débuter dans le journalisme en même temps qu’Henri Jeanson qui fera partie de leur bande. Jacques Théry venait de fonder un quotidien du soir Bonsoir. Achard était chargé d’interviewer les personnalités et Duran l’accompagnait silencieux et muni d’un carnet et d’un crayon, car il se disait dessinateur. C’est dans Bonsoir que débuta un jeune banlieusard qui se nommait Pierre Bénard et allait devenir le redoutable rédacteur en chef du Canard enchaîné.

Pour son premier papier, Henri Jeanson, avec la fougue de la jeunesse et l’impertinence qui le caractérisait déjà, s’en prit à Yves Mirande lequel, furieux, voulut faire un procès auquel il renonça en apprenant que son tortionnaire était mineur. Il décida néanmoins de le traîner devant le tribunal pour enfants. Auparavant, il se rendit au journal pour punir la bande d’impertinents. Le soir, il invitait toute la rédaction à dîner, et tous les convives, Duran, Jeanson et Achard compris finirent leur soirée au bordel. Rue Chauchat, leur voisin Auguste Nardy faisait la cuisine pour toute la bande à laquelle s’étaient joints Paul Gordeaux et Pierre Bénard. Paul Gordeaux était chargé de la rubrique des Halles, ce qui lui permettait d’obtenir des lots de filets de harengs au prix de gros.

Achard, qui vient d’être engagé en qualité de régisseur chez Charles Dullin à l’Atelier, y fait engager son copain Duran comme acteur et décorateur, ce qui ne empêchera pas ce dernier de tourner sous la direction de Billy Wilder dans Mauvaise graine (le rôle du chef de gang) avec Danielle Darrieux et Pierre Mingand. Auparavant, Michel Duran avait également tourné sous la direction de Louis Delluc aux côtés de Roger Karl et d’Eve Francis, sous la direction de Marcel L’Herbier, et joué dans des revues d’Albert Willemetz. Nouvelle incursion dans le journalisme, à Paris-Soir, où il signe un papier éreintant le grand Antoine.

2. Un auteur dramatique de hasard

Dans la bande, Achard, Jeanson et Passeur qui en était l’un des piliers, avaient écrit des pièces. Duran se dit alors « Pourquoi pas moi ? » et il écrit Amitié qui sera créée lé 1er avril 1931 par Raymond Rouleau qui venait de prendre la direction de la Compagnie du Marais à Bruxelles. Il signe sa pièce Michel Mourguet, en hommage sans doute au fondateur du guignol lyonnais. La pièce sera reprise à Paris au théâtre des Nouveautés le 21 janvier 1932, et au théâtre Saint-Georges. C’est une peinture charmante de la jeunesse dans l’atmosphère de l’époque. Deux amis, Robert et Jean prennent leurs vacances ensemble. Robert a épousé une femme charmante, Françoise. Jean, croyant être amoureux de Françoise, décide de s’en aller après avoir avoué la vérité à son ami. Au deuxième acte, Jean est guéri, mais cette fois, c’est Françoise qui est amoureuse de lui et l’avoue à son mari. Au troisième acte, Robert, jaloux, devient odieux, et jette ainsi Françoise dans les bras de Jean. Ils seront déçus tous les deux et tout rentrera dans l’ordre.

Sa seconde pièce Liberté provisoire, il la signera de son nom. « Ayant engueulé pas mal de monde sous ce nom, je ne veux pas avoir l’air d’en prendre un autre comme bouclier ». La pièce est créée le 20 avril 1934 au Théâtre Saint-Georges avec Pierre Blanchar, Madeleine Lambert et Carette. (Une reprise aura lieu en octobre 1947 au théâtre Sarah Bernhardt, en même temps que Boléro au Théâtre Edouard VII). C’est la romantique histoire d’un anarchiste poursuivi par la police, qui vient se cacher chez une femme du monde donnant ce soir-là un raout. Elle le cache, l’héberge et en tombe amoureuse. Mais l’industriel, amant en titre, découvre la présence de l’anarchiste. La femme devra accepter d’épouser l’industriel en échange de son silence. L’amant de quelques jours pourra alors partir libre. La presse sera excellente, malgré les articles précédents de l’auteur qui démolissait certains spectacles. On lui reprochera toutefois d’avoir choisi un sujet pas très original. À la question « Pourquoi n’avoir pas interprété vous-même la pièce ?» il répondra : « Pour être constamment le dramaturge et le comédien, eh bien, il faut être Sacha Guitry. Voilà ».

Parallèlement, il est critique dramatique du cinéma dans Le Canard enchaîné, succédant à Henri Jeanson. Sa plume acérée, trempée dans le vitriol, y fera des ravages pendant trente ans. Il sévira aussi dans Marianne. Ses articles écrits à coups de couteau le brouilleront méthodiquement avec toutes les vedettes de Paris. « Ce qui ne m’a jamais empêché de les retrouver dans mes pièces chaque fois que j’en ai eu besoin ». Il n’a pas hésité à écrire concernant Raimu : « Le génie était tombé aux mains d’un crétin ». Michel Duran prendra un jour la défense de la critique dans Comœdia le 15 avril 34 : « Il y a quelques années, n’importe quel navet joué par des médiocres était sûr d’aller au-delà de la 200ème, comme n’importe quelle croûte était sûre de se vendre sur le marché de Montparnasse. Aujourd’hui, grâce au ciel, le public est plus difficile, mieux averti, peut-être par la place de plus en plus grande que prend dans la presse la critique. Sacha Guitry comparait l’autre jour la critique à un eunuque au milieu du sérail. Je ne suis pas de son avis et, pour ma part, j’ai à diverses occasions reçu des avis dépourvus d’aménité dont j’ai été heureux de faire mon profit ».

3. Le Hasard devint synonyme de succès

Puis c’est Trois six neuf, créée le 3 février 1936 au théâtre Michel avec André Luguet et Suzy Prim. C’est une jolie comédie très bien accueillie qui sera reprise le 21 novembre 1942 au théâtre de Paris avec Armontel et toujours Suzy Prim. Pierre est amoureux d’Agnès, jusqu’à penser au suicide. Elle essaie de le raisonner et finalement, consent à lui donner trois mois de bonheur, profitant d’un voyage de son amant en titre. Arrivera l’heure du retour, qui marquera la guérison du jeune homme… mais Agnès a été gagnée par le mal d’amour.

À l’héroïne Agnès, succède une autre héroïne Barbara, créée le 7 février 1938 au théâtre Saint-Georges. C’est à travers l’histoire d’une vedette d’Hollywood, célèbre dans le monde entier, qui vient en France divorcer pour la troisième fois, la caricature de la vamp insupportable, et des mœurs américaines. Le rôle titre est tenu par Zita Percel, hongroise pensionnaire du théâtre national de Hongrie, vedette de cinéma à Budapest, et roulant les R comme Elvire Popesco. La presse est très bonne, à l’exception d’Alain Laubreaux, (3)  qui démolit Michel Duran. « Nous ne sommes pas mariés » sera créée aux Bouffes Parisiens le 6 décembre 1939. C’est une comédie sur la fidélité. Fernand et Simone s’adorent. Ils ont un ami désespéré, Clément, que sa femme a quitté. Simone lui présente une amie très séduisante, Évelyne, espérant que Clément sera séduit. Hélas, c’est Fernand qui est séduit. Pour lui la question se pose. Est-il préférable de tromper sa femme discrètement, plutôt que de la rendre malheureuse par le désir qu’on a d’une autre ? Ou n’est-il pas, au contraire, plus courageux de rester un amant fidèle, que de devenir un mari polygame ? Le succès est toujours au rendez-vous, et la presse toujours favorable. La pièce sera reprise au théâtre Saint-Georges et au théâtre de Paris en mars 1940. Le talent de dramaturge de Michel Duran s’affirme de pièce en pièce.

La suivante fera l’unanimité. C’est Boléro, créée aux Bouffes Parisiens le 13 mai 1941, mise en scène par Pasquali qui déclare : « La pièce est excessivement drôle et excessivement dramatique. C’est quand le drame montre son nez que la joie se déchaîne, et l’émotion vous étreint au moment précis où vous allez rire ». La pièce, que l’auteur désigne comme « un vaudeville sans lit et sans caleçons » repose sur trois mystifications, une par acte. Le titre est emprunté à Ravel dont on entend le Boléro tout au long de la pièce. Armoryan, le critique des Nouveaux Temps compare Michel Duran à Charles Trenet « travaillant comme le chanteur dans l’inattendu et cultivant la surprise ». Les gens de cinéma n’auront pas été insensibles au talent de Michel Duran car celui-ci deviendra dialoguiste de J’étais une aventurière en 38, de Battements de cœur en 39, et scénariste et dialoguiste de Premier rendez-vous en 41. Ces trois films connaîtront un très grand succès et on est en droit de penser que le dialogue y était un peu pour quelque chose. Premier rendez-vous deviendra une opérette, écrite en collaboration avec Henri Decoin, le réalisateur du film, créée à Nancy le 22 décembre 1948, toujours sur la musique de René Sylviano, et présentée à Paris à la Gaîté Lyrique, avec Brigitte Mars et Robert Piquet.

Quelques mois après la création de Sincèrement, alors que la pièce poursuit toujours sa carrière, le théâtre Saint-Georges présente La Mariée est trop belle le 29 avril 1950 avec André Luguet, Claude Génia et Claude Nicot. C’est l’histoire d’une femme désappointée par l’indifférence de son mari et qui décide de le quitter avec celui qui deviendra son amant. Au moment de partir, elle découvre qu’elle est enceinte. L’instinct maternel prévaudra et tout rentrera dans l’ordre. La critique n’est pas bonne. On compare la pièce à Sincèrement, et pas à l’avantage de la Mariée« La Mariée est trop belle, mais elle ne figurera pas parmi les beaux partis », « La mariée est trop belle pour être vraie », « La mariée est trop belle, mais la pièce beaucoup moins », « La mariée est trop belle pour être honnête ». Michel Duran prend sa revanche avec Faites-moi confiance, créée au Gymnase le 28 novembre 1953 avec Denise Grey, Daniel Lecourtois et Carette. Une veuve qui voit sa fortune s’évanouir au cours de dévaluations successives, prend un locataire d’une parfaite courtoisie, qui prétend s’occuper de « déplacements de capitaux », ce qui est exact, c’est un gangster chevronné. « J’ai voulu construire un roman de la série noire transformé en rose. Le champagne remplacera le whisky et les bons usages celui de la mitraillette ». Très bonnes critiques dans l’ensemble.

La Roulotte, créée au théâtre Michel le 15 octobre 1954 marque un changement de style. L’histoire conte l’opposition d’une famille très bourgeoise avec une moralité qui n’en est pas une et qui est socialement bourrée de principes, et d’une famille complètement farfelue et fantaisiste de romanichels, qui vit dans une roulotte. La fille des romanichels est enceinte du fils des bourgeois. Lesquels, évidemment, ne font pas face à leurs responsabilités. Les romanichels mettent alors en application le vieux dicton Œil pour œil, dent pour dent. Il faut que notre fils séduise la fille des bourgeois pour lui faire un enfant. Mais les deux jeunes gens tombent vraiment amoureux l’un de l’autre, ce qui n’arrange pas les choses. L’histoire, en raison du milieu dans lequel elle évolue, est originale et sort des sentiers battus, mais ne rencontrera pas l’agrément de la critique.

Nouvelle revanche de l’auteur avec José, créée aux Nouveautés le 17 décembre 1955 et qui doit succéder à neuf années de présence d’André Roussin : La Petite Hutte jouée 1.500 fois et Lorsque l’enfant paraît jouée 1603 fois. Ce handicap sera franchi avec bonheur car José rencontre un très grand succès de public et de presse (hormis l’article de Robert Kanters dans L’Express qui constitue la seule mauvaise note dans le concert d’éloges).

La dernière pièce de Michel Duran sera Mon cœur balance créée au Casino Municipal de Nice et présentée à Paris au théâtre des Arts le 20 septembre 1957, pour 50 représentations. Gertrude, élevée par sa mère aux U.S.A., retrouve à Paris son père divorcé. Elle est amoureuse de deux prétendants, l’un beau, travailleur, situation d’avenir ; l’autre bohème, paresseux, doux et timide. Le père est bien ennuyé. Après quelques essais, Gertrude retournera aux U.S.A. Ces adieux au théâtre ne marqueront pas, pour Michel Duran, un retour au succès. La pièce est mollement accueillie et sa critique donnera lieu à un incident. Alors que, dans Le Figaro Jean-Jacques Gautier avait fait une critique assez bonne, dans le même journal, le dessin de Sennep représentait une salle occupée par des spectateurs tous endormis. Duran adresse une lettre de protestation au Figaro, s’interrogeant pour savoir qui est le véritable critique du journal. Il est évident qu’un dessin peut faire beaucoup plus de mal qu’une critique et la polémique relative à Mon cœur balance au sujet de Sennep s’était déjà produite et se reproduira avec d’autres auteurs.

(3) Alain Laubreaux se rendra célèbre sous l’occupation pour son apologie délirante du régime nazi, ce qui lui vaudra une condamnation à mort, dont il évitera l’exécution, en prenant la fuite en Espagne.

4. La Conclusion d’une vie heureuse

I
l n’a pas été évoqué, dans cette biographie, la vie privée de Michel Duran, car elle était sans histoire. La seule anecdote s’y rapportant concerne la rencontre avec Kissy, qui deviendra sa femme. Alors qu’il était dans la dèche, il fut invité par le fils du célèbre peintre Albert Besnard à venir passer quelques jours dans le château familial. Michel s’y trouva si bien qu’il y resta un an à n’y rien faire. Après quoi il disparut, en enlevant de façon très romanesque la fille du château, Melle Kissy. Pendant près de vingt ans, ils mirent un point d’honneur à bafouer les conventions et à vivre maritalement. La régularisation eut pourtant lieu à la déclaration de guerre, alors que Michel Duran venait précisément de terminer Nous ne sommes pas mariés. Le couple vivra dans une grande maison « La Clé des champs » à Hermeray, entre Paris et Rambouillet, car Michel Duran, comme Jacques Deval, ne fréquentait pas les « soirées » dont il avait horreur. Il s’éteindra le 18 février 1994.

5. Quelques pièces

SINCÈREMENT

Analyse
C’est l’histoire d’un trio classique. Le couple marié s’est promis de tout se dire. Ils sont l’un et l’autre la franchise même. Apparaît un peintre qui avait sauvé la femme dix ans plus tôt et auquel elle aurait promis d’appartenir dès qu’il reviendrait. Mais c’est un menteur comme il n’est pas permis.

Critiques
« Michel DURAN a transposé dans le ton de notre époque une comédie du XVIIIème et cela donne une histoire de rouerie et de marivaudage à la mode un peu mufle d’à présent, une aventure légère et sans prétention qui pourrait s’intituler, selon la préférence de chacun : L’ÉpreuveLa Double mépriseLa Confidence déplacéeLes Fourberies amoureusesLe Jeu de la vérité, de l’amour, du mensonge et du hasard. »
Jean-Jacques GAUTIER – Le Figaro

« On évoque MARIVAUX, on évoque même MUSSET, le MUSSET le plus léger, le plus fantaisiste, car Michel DURAN a choisi délibérément dans la note gaie, toute légère. Sa plume, infiniment agile, n’a pas pris le temps de s’appesantir, refuse la moindre prétention à l’étude psychologique… Allez vite passer aux Capucines une soirée exceptionnellement aimable. »
Claudine CHONEZ – Combat

« L’auteur de ce délicat badinage n’est point de ceux qui prétendent, en 3 actes, déraciner l’arbre du bien et du mal et demander des comptes au créateur des mondes. Sa modestie est une fraîcheur. Il n’aspire même pas à la généralité, à la profondeur du Plaisir de rompre ou du Pain de ménage. C’est pourtant là sa généalogie. »
Robert KEMP – Le Monde

BONNE CHANCE DENIS

Analyse
C’est une pièce qui conte la lutte entre le bien et le mal, à l’occasion de l’assassinat d’un triste sire, voleur et infidèle, qui venait de rencontrer l’amour. Devant le cadavre, surgissent ange et démon qui se le disputent, chacun ayant d’excellents arguments revendique cette âme incertaine. Les adversaires transigent et accordent un sursis à leur client. C’est lui-même, à travers ses actions à venir, qui décidera de son sort.

Critiques
« La pièce appelle des comparaisons, elle pourrait favoriser des parallèles ingénieux, mais son grand mérite consiste précisément dans ceci qu’elle nous fait assez vite oublier les autres parce qu’elle possède son originalité de construction, de dialogue, de visage… Je me suis amusé presque tout le temps à cette fantaisie qui n’est pas lourde, à cette comédie mi-fantastique, mi-féerique qui n’a d’autre ambition que d’être théâtrale. »
Jean-Jacques GAUTIER – Le Figaro

« J’ai eu une agréable surprise au théâtre de l’Œuvre. J’y ai rencontré de l’esprit, une sorte de grâce, et ce genre de bon sens qui fait bon ménage avec la féerie, et de quoi notre théâtre actuel tend à se désolidariser. »
Jacques LEMARCHAND – Combat

« La jolie chose ! Une espèce de petit chef d’œuvre d’ingéniosité, d’esprit, d’imprévu, de fantaisie et, à travers tout cela, de vérité… Il y a là un mélange exquisement dosé de comique et de dramatique… C’est une réussite rare. »
Fernand GREGH – Cavalcade

JOSÉ

Analyse
Jérôme, auteur de chansons, avant de réussir à Paris, a été amoureux, en sa province natale, d’une jeune fille qu’il aurait épousée sans l’opposition de ses parents. Il pense toujours à elle mais, sans qu’il l’ait su, elle est devenue la femme d’un négociant en vins de Béziers, international de rugby. Jérôme écrit toutes les chansons du célèbre chanteur José qui, à la suite d’un gala à Béziers, a séduit la jeune femme. À l’occasion d’un match international auquel son mari participe, elle l’accompagne à Paris et donne rendez-vous à José chez son ex-fiancé. Mais une petite starlette, Aline, amoureuse de Jérôme et championne de judo, déjouera tous ses plans.

Critiques
« Grâce à l’intervention du rugby et de la télévision, le sujet reste toujours pittoresque et attachant, bien que la pièce ne se catalogue dans aucun genre défini. »
René GORDON – Franc-Tireur

« L’intrusion de la boîte à images sur scène qui rajeunit le classique « Ciel mon mari ! » a recueilli le plus grand succès auprès d’un public qui ne boudait point le plaisir qu’il était venu chercher. »
Gustave JOLY – L’Aurore

« Pour moderniser, Michel DURAN n’use pas seulement de la télévision, le judo, pratiqué par une impétueuse demoiselle, le rugby y figurent aussi. M. Michel ARDAN mène une partie de rugby de façon à rendre pour moi le rugby amusant. »
Robert KEMP – Le Monde

6. Œuvres dramatiques

1er avril 1931 – AMITIÉ – Bruxelles
21 avril 1934 – LIBERTÉ PROVISOIRE – Théâtre Saint-Georges
4 février 1936 – TROIS SIX NEUF – Théâtre Michel
5 février 1938 – BARBARA – Théâtre Saint-Georges
6 décembre 1939 – NOUS NE SOMMES PAS MARIÉS – Théâtre des Bouffes Parisiens
6 décembre 1940 – LA REVUE DE L’A.B.C. – Théâtre de l’A.B.C.
13 mai 1941 – BOLÉRO – Théâtre des Bouffes Parisiens
17 décembre 1943 – BIENVENUE – Théâtre des Célestins à Lyon
11 décembre 1946 – BONNE CHANCE DENIS – Théâtre de l’Œuvre
22 décembre 1948 – PREMIER RENDEZ-VOUS – (opérette) Nancy
8 octobre 1948 – LE BON DIEU SANS CONFESSION – Théâtre des Célestins à Lyon
26 septembre 1949 – SINCÈREMENT – Théâtre des Capucines
30 avril 1950 – LA MARIÉE EST TROP BELLE – Théâtre Saint-Georges
28 novembre 1953 – FAITES-MOI CONFIANCE – Théâtre du Gymnase
15 octobre 1954 – LA ROULOTTE – Théâtre Michel
17 décembre 1955 – JOSÉ – Théâtre des Nouveautés
20 septembre 1957 – MON CŒUR BALANCE – Théâtre des Arts

7. Extrait : Boléro

SALON ANNE-MARIE

( Un disque tourne et joue le Boléro sur un phono placé au milieu d’une table roulante – assiettes de petits gâteaux – poussée par un domestique en livrée qui répond au nom d’Horace. Horace fait le tour du salon luxueux d »Anne-Marie, la célèbre couturière, qui reçoit une vingtaine d’invités des deux sexes )

Une invitée s’exclame en enfournant une barquette : Quelle musique !
Une dame aux cheveux gris surenchérit en mordant dans une tartelette : C’est un chef-d’œuvre !

( Plus loin, une invitée ajoute )

Et quelle délicieuse idée : un thé-musical !

Un monsieur glisse à l’oreille d’un autre : Dommage que ce soit toujours Ïe même disque…

AUTRE GROUPE

Autre dame : Il n’y a qu’Anne-Marie pour avoir des inventions pareilles. N’est-ce pas, Anne-Marie ?

Anne-Marie : Que dites-vous, chère amie…

La dame : II n’y a que vous dans tout Paris pour recevoir d’une façon si originale…

( Un monsieur dit, en choisissant une tarte aux cerises : )

Le monsieur : En effet cette tarte au Boléro est un pur régal !

Anne-Mariemettant forte : J’adore cette musique !

Le monsieur : Et je vous comprends. Qui ne l’aime pas ?

( À ce moment, on entend des coups au plafond. Anne-Marie et ses amis lèvent ta tête. Au plafond, le lustre de cristal se met à trembler )

Une invitée : Qui est-ce ?

Anne-Marie : C’est justement quelqu’un qui n’aime pas le Boléro…

STUDIO REMI

( Studio mi-salon, mi-travail, d’un architecte. Rémi, en robe de chambre et en pantoufles, frappe avec rage sur le plancher à l’aide d’un énorme bâton. À l’écart se tient Paul, un de ses amis, qui rit sous cape )

SALON ANNE-MARIE

( Anne-Marie est inquiète pour son lustre et s’écrie )

Anne-Marie : il va finir par décrocher mon lustre, cet animal !

( Ce disant, Anne-Marie s’empresse de mettre le Boléro en « sourdine » )

STUDIO REMI

( Rémi s’arrête de frapper et écoute avec son ami Paul. On entend la musique très adoucie )

Rémi : II n’y a que ça qui la calme… Il paraît que ça fait trembler son vieux lustre… Et c’est comme ça tous les jours… Si encore elle changeait de disque. Mais non ! quand elle a un air qui lui plaît, elle le fait jouer jusqu’à ce que la cire soit usée. C’est une cinglée !…

( Rémi revient devant Paul et ouvre ta bouche toute grande. Celui-ci, avec une cuiller qu’il appuie sur sa langue, observe sa gorge )

Paul : Je ne vois rien, pas la moindre trace de blanc.

Rémi : J’ai pourtant mal à la gorge. Quand j’ai de l’angine, ça commence comme ça.

Paul : Tu en as eu souvent ?

Rémi : Une fois, pour ma première communion…

Paul : Comme tous les gens bien portants, tu as peur de la maladie.

( Paul cesse l’auscultation et va poser la cuiller. Rémi le suit )

Rémi : Je t’assure, hier soir, à la piscine du Racing, je suis resté trop longtemps mouillé en sortant de l’eau, j’avais des frissons en rentrant.

Paul : Tu as pris froid… Prend deux cachets, fais-toi transpirer et reste tranquillement chez toi ce soir…

Rémi : Tranquillement, tu en as de bonnes… avec la cinglée du dessous qui reçoit…

( Paul vient de prendre son chapeau et ses gants )

Paul : On dirait qu’elle semble avoir compris.

Rémi : Elle comprend pendant quelques minutes, et puis elle recommence…

( Paul fredonne l’air du Boléro )

Ah ! non, pas toi… je commence à avoir la nausée de cet air-là.

( Mais l’air du Boléro éclate brusquement )

Rémi : Ça y est, ça lui reprend. C’est à devenir fou, je te dis…

Va au téléphone et dit en composant le numéro )

Il faudra qu’elle cède ou gare !

Rémi : Allô… Je voudrais parler à Mme Anne-Marie Aulier… de la part d’un de ses admirateurs…

SALON ANNE-MARIE

( Horace vient prévenir Anne-Marie. qu’on la demandait au téléphone )

Anne-Marie : un admirateur ?… Quel admirateur ?… J’en ai des tas… ( Aux amis ) enfin, excusez-moi… Je ne peux pas être tranquille une seconde…

( Elle arrive à l’appareil, suivie d’Horace qui lui tend le récepteur et s’efface )

Anne-Marie : Allô… Allô ?… Oui, c’est moi… Ah ! c’est vous… Non monsieur, je ne baisserai pas mon pick-up. Si cela ne vous plait pas, allez vous promener.

( Rémi au téléphone hurle avec rage. )

Rémi : Je vous dis que je suis malade… malade… vous ne comprenez pas…

Anne-Marie : Vous êtes malade. Tant mieux, c’est grave, j’espère… Alors agonisez vite et fichez-moi la paix…

( Elle raccroche et revient vers ses amis. On entend des coups formidables au plafond. Elle s’arrête brusquement et lève la tête. Le lustre oscille dangereusement et les invités le regardent avec crainte )

Anne-Marie ( en explosant ) : C’est trop fort… Horace… demandez-moi le locataire du dessus…

STUDIO RÉMI

( Rémi tape à tour de bras. Le téléphone retentit )

Rémi ( à Paul) : Reprends-moi un moment, ça doit être elle…

( Il passe le bâton à Paul qui se met à taper, pendant que Rémi se dirige vers le téléphone, mais sans se presser. L’air du Boléro s’adoucit )

Rémi : Ah ! tout de même ! ( à Paul ) Arrête pendant que je parle. ( Il décroche ) Allô… oui, c’est moi… ah: c’est vous, chère madame… Comment trouvez-vous mon solo de bâton ? Je m’arrêterai quand vous ferez moins de bruit… je recommencerai quand vous en ferez trop.

( Il fait dans la direction de Paul un regard qui signifie « Et toc ! » )

Rémi : Je me fous de votre lustre, madame… Je ne fais qu’un souhait, c’est qu’il tombe sur votre tête… Comment ?… Mais qu’ils montent, vos amis costauds aux muscles saillants, je les attends avec mon 42.

( Rémi poursuit, en tendant un écouteur à Paul qui s’amuse comme un fou )

Rémi : Quoi ?… je ne suis pas plus un gentleman que vous êtes une femme du monde… architecte sans commande, facile à dire, madame… ça vaut mieux peut-être que d’être une fabricante de robes en série.

( Il raccroche )

SALON ANNE-MARIE

( Elle raccroche, furieuse )

Anne-Marie : C’est trop fort… ( Elle appelle ) Horace ?… voyez si maître Thibault est arrivé… ( à un invité ) C’est mon avocat-conseil… Il est en train de mettre au point une action décisive. Rira bien qui rira le dernier.

STUDIO RÉMI

( Près du vestibule, Paul prend congé de Rémi )

Paul ( lui tenant la main) : Je me sauve. Un malade m’attend. Tu vois Niquette, ce soir ?

Rémi : Elle devait venir en sortant du théâtre, mais comme je suis mal fichu, je vais lui téléphoner de remettre ça a demain.

Paul : Veux-tu que je lui dise ?

Rémi : Tu la vois ?

Paul : Je vais sûrement passer à l’Odéon pour voir Faniolle.

Rémi : Entre nous, tu ne fais pas un peu la cour à Niqnette ?

Paul : Moi ?… C’est ta maitresse, voyons… Ce n’est pas mon genre d’essayer de chiper la femme d’un copain…

Rémi : Avoue que tu as un léger béguin pour Niquette.

Paul : C’est une scène de jalousie ?

Rémi : Non, mon vieux

Paul. Aimes-tu Niquette, seulement ?

Rémi : Niquette me plaît beaucoup. Elle est jolie fille, facile à vivre, aussi indépendante que moi et elle ne manque pas de talent… elle fera une jolie carrière de comédienne…

Paul : Bref, ça n’est pas la femme de ta vie ?

Rémi : Non, mon vieux. Tu peux tenter ta chance sans remords.

Paul : Je déteste ce genre de plaisanterie, tu sais.

Rémi : Ne te fâche pas… J’ai confiance, en toi et je t’aime bien…

Paul : Sur ces bonnes paroles, je te quitte.

Rémi : Regarde encore ma gorge avant de partir. Je sens un point blanc qui a poussé.

Paul : Ah ! celui-là…

( Il va vers la porte )

Rémi : Alors, bonne soirée… si ma fièvre monte, je te téléphonerai.

Paul : C’est ça. J’enverrai une ambulance. ( Il sort )

Rémi ( à lui-même ) : Je vais tout de même me faire une inhalation…

( Le téléphone retentit, Rémi s’y dirige, décroche l’appareil et solennellement déclare )

Rémi : Madame, je vous dis m…

CHEZ NIQUETTE

( Chambre très petite poule de théâtre. Niquette est une jolie fille de vingt-cinq ans. En pyjama, assise sur son divan, elle est en train de téléphoner )

Niquette ( excessivement surprise au bout du fil ) : Eh ben, dis donc, sois poli !… C’est moi, Niquette… Ah tu me prenais pour une autre ! Toujours ton insupportable voisine ? ( Elle éclate de rire )

Rémi : Plus que jamais. Bonjour ma chérie ! Tu ne joues pas ce soir ?… Eh ben, ton amoureux va avoir une grosse déception. Paul sort d’ici. Il comptait aller te voir.

Niquette : Je n’ai qu’un amoureux et c’est toi. Alors je me suis dit : Ma petite Niquette, puisque tu es libre ce soir, tu vas aller passer la soirée avec celui que tu aimes. C’est gentil hein ? quoi ?… Tu es mal fichu ?

Rémi : Oh rien de grave… sûrement un peu d’angine. Alors je vais tout de suite me coucher et essayer de dormir malgré l’enquiquineuse du dessous. Non, non, je ne veux pas t’imposer ma présence. Je suis un malade insupportable et si c’est l’angine ça peut s’attraper. Je te téléphonerai demain. Que vas-tu faire ?

Niquette : Je vais me coucher aussi et apprendre mes rôles. Quels rôles ?… mais tous mes rôles… tu sais bien que je pars en tournée demain soir pour une semaine. Dis donc, j’y pense… je connais un remède épatant pour l’angine… des comprimés. Tu ne veux pas que je te les apporte ? Mais puisque ta bonne n’est pas là tu ne peux pas les faire chercher… enfin comme tu voudras… bonsoir chou, soigne-toi bien. ( Elle raccroche )

CUISINE RÉMI

( Rémi fait bouillir de l’eau. Il examine encore sa gorge devant une glace, puis verse l’eau bouillante dans l’inhalateur qu’il emporte avec précaution dans le studio. Il se met sous une serviette pour ne pas laisser échapper les vapeurs bienfaisantes. On sonne. Il a un mouvement de tête vers la porte. Il renonce à ouvrir et aspire bruyamment les vapeurs de l’appareil )

PALIER

( Le palier. Une femme très élégante est à la porte de Rémi. Elle va voir par dessus la rampe si personne ne monte… Elle entend l’ascenseur… dont le signal rouge annonce « en marche ». Elle semble affolée et résonne )

ATELIER RÉMI

( Rémi a un mouvement d’humeur. Entendant de nouvelles sonneries, il renonce à se soigner et va ouvrir en s’essuyant le nez avec sa serviette qu’il a passée autour du cou )

PALIER

( La femme très élégante et affolée s’apprête à resonner quand la porte s’ouvre. Rémi passe la tête )

Catherine : Monsieur Rémi Courmont, s’il vous plait ?…

Rémi : C’est moi, madame. C’est à quel sujet, madame ?

Catherine : Vous êtes architecte, n’est-ce pas ?

Rémi : Oui madame.

Catherine : Alors c’est bien vous.

( Et la femme élégante entre sans que Rémi ait à la prier )

Catherine : Peut-être ne recevez-vous que sur rendez-vous ?

Rémi : Oui… non… je m’excuse de vous recevoir dans cette tenue, mais ma bonne est en vacances et j’étais en train de prendre une inhalation.

( Il la fait entrer dans l’atelier )

Catherine : Vous êtes souffrant ?

Rémi : Un peu d’angine, Je crois.

Catherine : Ah ! mon Dieu, mais ça s’attrape…

Rémi : J’ai dit : Je crois. Et mon docteur est sûr du contraire.

Catherine : Raison de plus pour en être persuadé. Ils sont tant qui décrètent qu’on est folle alors qu’on n’a qu’un peu de fantaisie…

( Rémi lui désigne un siège )

Rémi : Asseyez-vous, Je vous prie.

( Catherine s’assied. Rémi en fait autant en ajoutant 😉

Je vous écoute, madame.

( À ce moment, le pick-up de la voisine et des rires se font entendre… ce qui met en rage Rémi. Une rage qu’il essaie de cacher )

Catherine : Pardonnez ma curiosité. Quel est ce bruit ?

Rémi : C’est chez ma voisine du dessous. Une toquée qui reçoit des gens mal élevés.

( Le bruit devenant trop fort, il se lève )

Rémi : Excusez-moi, madame, mais il le faut.

( Il va prendre son bâton et frappe sur le plancher, ce qui surprend et amuse la dame. Le téléphone retentit )

Rémi : Je vous parle que c’est la voisine… Je vous demande pardon… ( Il va au téléphone et décroche ) Non… Ici, ce sont les abattoirs de la Villette. C’était bien elle. ( Il raccroche. À Catherine ) Excusez le mensonge, mais c’est pour m’en débarrasser.

( Il s’assied. Un petit silence )

Rémi : Alors, madame, je vous écoute…

Catherine : Si je viens chez un architecte, il s’agit évidemment de construction… Voilà, j’ai le projet de faire bâtir… ou plutôt de restaurer, d’arranger une petite ferme que je viens d’acheter.

(Le téléphone retentit.)

Rémi : Je vous redemande pardon, madame, c’est encore l’horrible femme du dessous…

SALON ANNE-MARIE

( Anne-Marie, au téléphone )

Anne-Marie : Allô, monsieur, vous n’êtes donc pas encore mort ? Vous disiez être malade… Je vous préviens que j’ai ici deux experts et un huissier pour constater et évaluer les dégâts que vous faites à mon plafond… Ah ! soyez poli…

Rémi ( au téléphone ) : S’il n’y avait pas une jolie femme chez moi, je vous répondrais grossièrement… Parfaitement, une cliente… Ravissante et d’une élégance parfaite. Bref, une dame qui ne s’habille sûrement pas chez vous. ( Il raccroche.) Je suis confus, madame… d’ailleurs, pour avoir la paix, c’est bien simple… ( Il décroche son téléphone ) Nous pourrons causer tranquillement…

Catherine ( riant ) : Je suis désolé pour vous, mais mon ensemble sort de chez Anne-Marie.

Rémi : C’est bien ma veine ! Vous la connaissez ?

Catherine : À peine.

Rémi : C’est une cinglée

Catherine : C’est une artiste.

Rémi : En tous cas, c’est une locataire impossible. Mais revenons au motif de votre visite.

Catherine : Voilà. J’ai donc acheté un moulin.

Rémi : Une ferme, disiez-vous…

Catherine : C’est ça…

Rémi : Je vous demande pardon de vous poser cette question, madame, mais c’est une amie qui vous à adressée à moi ?

Catherine : Non, Je passais devant la maison… J’ai vu votre plaque… je suis montée…

Rémi : Quelle plaque ?

Catherine : Eh bien… votre plaque.

Rémi : À la porte de l’Immeuble ? Je n’ai pas de plaque. Je n’en ai une que sur la porte de mon appartement.

Catherine ( sans se troubler ) : C’est bien de celle-ci que je veux parler… je suis montée, j’ai vu votre plaque…

Rémi : Et vous avez sonné.

Catherine : Voilà… donc, J’ai acheté un chalet suisse…

Rémi ( surpris ) : Pardon de vous interrompre encore. Mais est-ce une ferme, un moulin ou un chalet suisse ?…

Catherine : À vrai dire, je n’en sais rien. C’est une maison avec une tour et des ailes de moulin sise au bord de la rivière.

Rémi : Curieux, en effet. L’oeuvre d’un original sans doute.

Catherine : Elle me vient de ma mère.

Rémi : Vous disiez l’avoir achetée.

Catherine : Jamais de la vie !

Rémi : Pourtant, il m’avait semblé…

Catherine : Dites tout de suite que je suis une menteuse…

Rémi : Oh ! madame !… et que voulez-vous faire de cette maison ?

Catherine ( comme s’il s’agissait de la chose ta plus simple du monde ) : La transformer en manoir normand du XIIème siècle avec jardins à l’italienne…

(Rémi se lève en disant froidement et calmement 🙂

Rémi : Parfait, parfait… je vois très bien…

( Il semble réfléchir, puis demande : )

et… où se trouve-t-elle, cette maison ?…

Catherine : Dans la forêt de Ramboulllet…

Rémi : Ah ! dans la forêt de… Il n’y a pas de rivière dans la forêt de Rambouillet. Il n’y a que des étangs.

Catherine : C’est bien ce que je disais : près d’un étang.

( Rémi commence à donner des signes d’inquiétude )

Rémi : Oui… oui… oui…

( Après un court silence, Catherine prend l’inhalateur qu’elle présente à Rémi )

Catherine : Maintenant, cher monsieur, faites-moi un grand plaisir. Buvez votre inhalation.

Rémi : Mais comment donc… un mot cependant : qui êtes-vous ?

Catherine : Comment ? Vous ne m’avez pas reconnue ? Jeanne d’Arc !

Rémi : Je me disais aussi… Vous permettez que je donne un coup de téléphone ?

Catherine : Naturellement ! Mais Je vous défends d’appeler Police-Secours ! Parce que c’est curieux, chez toutes les personnes où je vais, on appelle Police-Secours.

Rémi (ironique) : Pas possible ?

Catherine : Simple coïncidence, évidemment, mais ça commence à m’ennuyer de toujours me retrouver chez le commissaire et de me faire réclamer par mon mari.

( Il raccroche )

Rémi : Vous êtes mariée ?

Catherine : Oui. Ça vous paraît extraordinaire ?

Rémi ( intéressé ) : Qui est votre mari. Napoléon ?

Catherine : Vous êtes fou ?

Rémi : Je suis en train de me le demander justement.

Catherine : Comment vous appelez-vous !

Rémi : Moi ? Louis XIV.

Catherine : idiot. Parlez sérieusement. Quel est votre prénom ?

Rémi : Rémi. Ça vous plaît ?

Catherine : Non. Je vous appellerait Do Dièze

Rémi : C’est gentil.

( Catherine éclate de rire. Rémi, de plus en plus inquiet. Soudain, il a une idée, il dit )

Rémi : Écoutez, c’est entendu. Je transformerai votre maison en manoir Louis XIII.

Catherine : J’ai changé d’Idée. Faites-en une maison basque.

Rémi : Parfait. Demain matin, elle sera à votre porte… Je vous accompagne ?

( Il lui désigne l’entrée, mais Catherine refuse )

Catherine : Je n’ai pas encore envie de m’en aller.

Rémi : Dire que j’ai du travail…

Catherine : Ne vous gênez pas pour mol.

Rémi : Si, justement. Partez, chère madame.

Catherine : Vous avez peur de moi ? Vous me prenez pour une folle, n’est-ce pas ?

Rémi : Oh ! qu’allez-vous imaginer !

( Petit silence. Soudain elle se lève, va chercher le bâton et frappe trois coups, devant Rémi sidéré )

Catherine : il faut que je pense à tout. Vous laissez votre ennemie en repos.

Rémi : Bravo, chère amie.

Catherine : Appelez-moi Kate, je m’appelle Catherine. Et puis, embrassez-moi, vous en mourez d’envie.

( Rémi est sidéré, il bafouille )

Rémi : Mais non… pas du tout…

( Catherine devient tendre )

Catherine : Une folle, c’est bien agréable, n’est-ce pas ? Avec elle on peut tout oser. Elle ne se souviendra de rien ou on ne la croira pas. Les gens penseront : Cette pauvre toquée a inventé ça. Embrassez-moi donc.

Rémi ( attendri ) : Non Jolie Catherine. Où habitez-vous D’où venez-vous ?

Catherine : Le sais-je ? Embrassez-moi donc, ça me fera plaisir à moi aussi.

( Rémi est très troublé par cette folle si séduisante, si provocante. Il n’y peut résister. Il l’embrasse. À ce moment on sonne. Catherine s’agrippe aussitôt à lui )

Catherine : N’ouvrez pas, je vous en supplie, n’ouvrez pas, je suis sûre que c’est lui.

Rémi : Qui lui ?

Catherine : Mon mari, cachez-moi.

Rémi : Mais nous ne faisons rien de mal.

( Elle se dégage de ses bras et le repousse )

Catherine : Vous trouvez ? Alors ouvrez-lui et je lui dis que vous m’avez embrassée sur la bouche.

Rémi : Voyons, madame, c’est vous qui me l’avez demandé… je vous assure, Il vaut mieux rentrer chez vous.

(Nouvelle sonnerie.)

Catherine : Cachez-moi ou je me tue. Vous ne pouvez pas comprendre. Je ne suis pas une folle, comme vous croyez. Je n’ai plus le temps de vous expliquer… il y va de ma vie, entendez-vous. Cachez-moi, ne dites pas à mon mari que je suis là… il partira. Après je vous expliquerai. Vous saurez tout.