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2. DU MOYEN-ÂGE À LA RENAISSANCE

par Danielle MATHIEU-BOUILLON

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La Farce de Maître Pathelin

Le Monopole du  Théâtre à Paris : un privilège royal

C‘est dans la foi, pourtant, que dans la seconde moitié du XIème siècle, le Théâtre puisera sa  renaissance. À l’attention d’un public, pour la majeure partie, illettré, les prêtres vont théâtraliser certains passages fameux des Ecritures à l’occasion des grandes fêtes religieuses. Ce sera le Drame liturgique, joué par des prêtres ou des clercs, dans le chœur de l’Église. Parmi les sujets essentiels : la Nativitéles Rois Mages, la résurrection de Lazare ou Les saintes femmes au tombeau, tout ceci, en latin, bien sûr. Au début du XIIème siècle naît l’idée de mélanger au latin, un peu de langue vulgaire pour améliorer la compréhension. Cette nouvelle langue sera qualifiée de « vernaculaire » et le succès sera au rendez-vous. Les présentations auront lieu désormais au niveau du narthex de l’église. C’est à cette époque que l’on voit le célèbre épisode des Vierges folles et des Vierges sages, toutes interprétées par des hommes d’Église, dont certains barbus, ce qui ne choque personne : la convention théâtrale est en marche. Un pas de plus sera franchi avec Le Drame d’Adam d’un auteur anonyme.

C’est à partir du XIIIème siècle que l’on peut identifier des auteurs avec une nouvelle forme, en marge des Écritures, le Jeu, sorte de drame liturgique hypertrophié. Il peut atteindre mille vers alors qu’il n’y en avait qu’une centaine à l’origine. Parmi ces auteurs, on peut citer Jean Bodel (né vers 1165) avec notamment Le Jeu de Saint Nicolas et Adam de la Halle (né vers 1240), tous les deux originaires du nord de la France, célèbre quant à lui pour Le Jeu de Robin et de Marion. À la fin du XIIIème et au début du XIVème siècle, la forme évolue à nouveau avec la naissance du Miracle : le spectacle se déroule désormais sur le parvis et raconte une histoire qui se conclut par l’intervention heureuse d’un Saint. Le plus ancien est signé Rutebeuf, poète encore célèbre par la version mise en musique par Léo Ferré… « Que sont mes amis devenus… », et s’intitule Le Miracle de Théophile.

Des amateurs artisans et commerçants, associés en confréries, seront à l’origine du renouveau de cet art né  plusieurs siècles avant Jésus Christ  en Grèce où il avait aussi connu le passage du cultuel au culturel.

C’est tout au début du XVème siècle qu’apparaît pour la première fois le mot Mystère, s’orthographiant d’abord mistère, pour décrire un spectacle qui se déroule désormais, non seulement sur le parvis de l’Eglise mais aussi sur la place publique. À Paris comme ailleurs se créent des confréries, sortes d’associations constituées de bourgeois, de marchands et d’artisans, qui donnent chaque année des spectacles, à Pâques et à Noël, en plein air le plus souvent.

"Le Miracle" de Théophile de Rutebeuf. - XIIIème siècle. (Bibliothèque historique de la Ville de Paris)

Hors de l’église les tréteaux s’installent et le spectacle profane prend son essor sous différentes formes : la sotie, la moralité, et surtout la farce dont l’une des plus célèbres parvenue jusqu’à nous est La Farce de Maître Pathelin (1456-1460), d’un auteur anonyme.

On constate qu’en quelques siècles, ces prêtres, puis ces amateurs, artisans et commerçants, associés en confréries, sont à l’origine du renouveau de cet art né  plusieurs siècles avant Jésus Christ,  en Grèce où il avait également connu ce passage du cultuel au culturel.

À Paris, ces confrères prennent le nom de « Confrères de la Passion de Notre Seigneur » . Il semble qu’ils aient joué devant le roi Charles VI qui leur accorda les lettres patentes :
À ses « bons amis et confrères » sa Majesté a donné «  plaine puissance et actes royals ceste fois pour toute et tousjours de jouer quelques mystères que ce soit de ladite Passion et Résurrection ou autres quelconques qu’ils voudront – assemblés en quelconque lieu et place… en la ville de Paris, en la prévosté et vicomté ou banlieue d’icelle… » ( Archives nationales JJ 157, f°155 et Y 8 f°77.)

"Le Miracle de Sainte Appoline". Peinture de Jean Fouquet vers 1420

Ce 4 Décembre 1402, le fameux privilège des Confrères de la Passion était né, leur conférant l’exploitation d’un théâtre fixe et permanent. Ce privilège confirmé par François 1er en 1518 allait perdurer sous des jours divers jusqu’en 1864.
En un premier temps les Confrères s’installèrent dans l’espace de l’ancien hôpital de la Trinité fondé au début du XIIIème siècle. Ils y restèrent jusqu’à leur expulsion en 1543, l’hôpital devant retourner à sa vocation première.
Après un siècle et demi au service d’un répertoire édifiant quoique quelquefois malmené, (les miracles et les Mystères d’inspiration religieuse), les Confrères avaient acquis en 1548 les terrains sur lesquels s’était élevé l’Hôtel de Bourgogne (ex-Hôtel d’Artois ) qui avait appartenu à Charles le Téméraire et dont François 1er avait ordonné la démolition. Seule subsiste de cet hôtel, la Tour de Jean sans Peur, toujours visible rue Etienne Marcel.

La Farce de Maître Pathelin
ou une comédie médiévale à l’origine de nombreuses expressions populaires

Cette pièce populaire de la fin du Moyen-âge est l’une des premières comédies françaises réellement connues. On ignore le nom de son auteur, mais cette farce typiquement française fut parfois attribuée au fou du Roi René d’Anjou.

Elle met en scène plusieurs personnages dans des situations de duperie successives particulièrement comiques. Elle connut, semble-t-il, un succès tel qu’elle fut plusieurs fois traduite pour être jouée à l’étranger. De nombreuses gravures d’époque l’illustrèrent.
Peu de nos contemporains savent que plusieurs expressions courantes de notre langage y puisent leurs origines.
L’histoire :
Maître Pathelin est un avocat de talent ayant connu le succès et une réputation notoire, mais il se trouve sans causes à défendre. Mourant d’envie d’avoir un vêtement neuf, il se rend chez un drapier Guillaume Joceaulme et choisit une pièce d’étoffe qu’il emporte chez lui sans l’avoir payée, ayant avec son art oratoire persuadé le marchand de lui faire confiance et de venir chez lui en toucher le paiement. Or, quand le drapier se présente il trouve l’avocat Pathelin mourant ; ce dernier et sa femme lui jouant la comédie, pour éviter de lui donner son dû. Le drapier repart.

Quelques temps plus tard, un berger, Thibault l’Agnelet, qui travaille pour le drapier dont il a égorgé des moutons, demande à Maître Pathelin de le défendre au tribunal. Jamais à cours d’idée pour tromper son monde, Pathelin lui suggère, lors du procès, de répondre à chaque question par un bêlement.

Au tribunal, le drapier reconnaît immédiatement l’avocat qui lui a volé son tissu et, tandis que le berger répond aux questions du juge par des bêlements surprenants, il dénonce alors pour vol l’avocat du berger au juge, qui ne comprend plus rien. Le drapier s’énerve, devient de plus en plus confus entre les brebis et son drap volé, tant et si bien que le juge, qui ne veut entendre parler que de l’affaire en cours concernant les brebis, utilise l’expression devenue célèbre depuis : « Revenons à nos moutons ! ».
Maître Pathelin défend bien le berger qui gagne son procès. Mais quand il demande à ce dernier de lui payer ses honoraires, le berger lui répond simplement par des bêlements.
Tel est pris qui croyait prendre…
Le nom de Pathelin passera dans la langue française avec l’adjectif « patelin » qui signifie doucereux, hypocrite, mielleux.

C’est en cet endroit (voir cercle rouge sur le plan ci-dessus) que les Confrères édifièrent en 1548 la salle de spectacle plus communément appelée « Hôtel de Bourgogne », à laquelle le public debout accédait par la rue Mauconseil, tandis que le public assis disposait d’une entrée réservée accessible par une petite cour ouverte sur la rue Neuve Sainte-Françoise.

Leur répertoire, amputé des œuvres d’inspiration religieuse interdites de représentation cette même année 1548, datait beaucoup. Il avait fait les beaux soirs de tout ce que la France comptait de collèges… la reconversion devenait urgente.
Les Confrères se firent alors exploitants, non plus de spectacles, mais de salles de spectacle. C’est-à-dire qu’ils n’accueillaient en leur théâtre que les troupes à même de s’acquitter d’une location.
On dirait aujourd’hui, en jargon professionnel qu’ils « faisaient du garage ».

Forts de leur privilège, ils rançonnaient les compagnies itinérantes. C’est ainsi que les Comédiens italiens, avec la troupe des Gelosi arrivant à Paris à la demande d’Henri III pour donner des représentations à Blois en 1577, jouent pour la première fois à Paris, avec un immense succès, à l’Hôtel de Bourbon. Les Confrères protestent en exigeant qu’ils se produisent en l’hôtel de Bourgogne. Mais le Parlement de Paris, ému par le caractère licencieux d’un spectacle joué par des professionnels, avec décors et costumes, mais aussi paillardise et débauche, leur refuse l’autorisation de jouer.

Dans cette fin du XVIème siècle, il sera courant de voir les Confrères porter plainte auprès du Parlement allant jusqu’à faire emprisonner et saisir le matériel des troupes professionnelles qui tentaient de passer outre leur privilège.

Bibliographie 
* Histoire du Théâtre de André Degaine (Nizet 1992)
* Histoire du Théâtre de Lucien Dubech (en 5 volumes Librairie de France 1931)
* Dictionnaire historique des rues de Paris de Jacques Hillairet (2 volumes Editions de Minuit 1963)
* Histoire de la mise en scène dans le théâtre religieux français du Moyen Age de Gustave Cohen ( Librairie Honoré Champion – 1951)
* Histoire des Spectacle ( Encyclopédie de la Pléïade 1965- ouvrage collectif sous la Direction de Guy Dumur)
* Le Théâtre au Collège, du Moyen âge à nos jours de L.-V. Gofflot Cercle français de l’Université Harvard ( Librairie Champion – 1907)
* La Commedia dell’arte et ses enfants de Pierre-Louis Duchartre (Editions d’Art et d’Industrie -1955)

Iconographie
* Fonds de l’Association de la Régie Théâtrale et de la Bibliothèque historique de la ville de Paris.

Pantalone et un Zani vers 1570-1580. (Musée Carnavalet)