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3. DÉBUT DU XVII ème SIÈCLE

par Danielle MATHIEU-BOUILLON

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Salle de Jeu de Paume d'après l'ouvrage de Forbert L'Ainé - 1623

LES RIVALITÉS ENTRE L’HÔTEL DE BOURGOGNE ET LE THÉÂTRE DU MARAIS

L’occasion du mariage entre Henri IV et Marie de Médicis va permettre le retour des Italiens à Paris et l’on sait que les premières années, c’est leur troupe qui occupa l’Hôtel de Bourgogne. La mort du roi va une fois encore compliquer leur sort et une sorte d’alternance difficile, entre troupes italiennes et françaises, va marquer les premières années du siècle, nous laissant à penser que ce système ne permettait pas l’émergence d’un «nouveau théâtre».

Le rêve des troupes itinérantes, que l’on imagine à juste titre proches de celle du Capitaine Fracasse cher à Théophile Gautier, était de se produire à Paris. Elles trouvaient parfois refuge dans des salles rectangulaires aménageables assez facilement en théâtre où l’on pratiquait couramment le jeu de paume. Parallèlement les « spectacles de cour » ne cessent de drainer un public nombreux où se retrouvent nobles, bourgeois ou simples badauds parisiens. D’abord dans la grande salle du Palais du Louvre puis, dans la salle dite du Petit Bourbon installée entre le Quai du Louvre  et la rue  des Prêtres de St. Germain l’Auxerrois, et ce depuis 1582, et, enfin dans la fameuse salle du Palais des Tuileries, dans l’ensemble édifié pour Catherine de Médicis par Philibert Delorme.

L’Hôtel de Bourgogne
Tribulations entres les Confrères de la Passion et les comédiens

Les Confrères de la Passion, constitués essentiellement de gens peu cultivés, prennent conscience qu’ils ne peuvent plus assurer eux-mêmes les spectacles et décident de n’être plus que des loueurs de salle, tout en conservant deux loges appelées loges des maîtres, histoire de bien marquer leur territoire. Les troupes commencent à s’installer, des Italiens notamment jusqu’en 1606. Les Confrères cherchent désormais à faire des profits et préférent accueillir parmi eux des comédiens. Les comédiens qui se succèdent, bien accueillis par le public parisien, obtiennent en 1611 le titre de Troupe Royale des Comédiens. De là à aller jusqu’à remettre en question le privilège exorbitant des Confrères, il n’y avait qu’un pas à faire qui fut franchi : trouvant injuste de se voir ainsi contrôlés par des gens incapables d’exercer le métier du théâtre, ils lancent une première requête au jeune Louis XIII, sans succès. Ils reviennent à la charge en 1629, suppliant le roi de supprimer le privilège de cette Confrérie passée de mode, proposant même de reconstruire, à leurs frais, un nouveau théâtre à la place de l’ancienne salle, plus à même d’accueillir spectacle et public, en rétablissant le bon ordre et les convenances. Il est vrai qu’il devait se passer parfois de curieuses choses dans l’obscurité du parterre qui avait acquis une réputation de «  cloaque de satan ». Les contestations des Confrères n’y firent rien, le Roi, en Novembre 1629 leur fit restituer la totalité du théâtre aux comédiens  leur privilège à un loyer de trois livres tournois par jour de représentation. Mais les Confrères ne voulaient pas lâcher prise. La troupe de Valleran le Conte, comédien reconnu, représente notamment des pièces d’Alexandre Hardy, qui dans son style fait avancer le renouveau du langage théâtral. À la mort de Valleran Le Conte, la troupe est reprise par Bellerose qui va s’imposer parmi les locataires de l’Hôtel de Bourgogne. Après avoir pris possession de la scène en 1626, pensionnée par sa Majesté, la troupe se dit troupe royale et présente dans la salle de la rue Mauconseil tous les genres de spectacle. Bellerose est l’un des meilleurs acteurs dans la tragédie.

Côté comique, dans la tradition bien gauloise, exploitée depuis le Moyen-Âge dans les foires, un trio de farceurs célèbres : Gauthier-Garguille, gendre du célèbre Tabarin, Gros Guillaume et Turlupin. Si l’on en croit les mémoires de Grimarest, ce serait en voisin que Molière, enfant, aurait assisté à leurs spectacles et, qui sait, découvert sa vocation.
On note la présence d’un décorateur, Mathelot, qui fut le décorateur attitré des Comédiens du Roi de 1622 à 1635.

Mais bientôt, un jeune avocat normand, Pierre Corneille (1606-1684) va révolutionner le théâtre français, lui conférer ses lettres de noblesse et être à l’origine de la grande salle rivale de l’Hôtel de Bourgogne.

Le Théâtre du Marais

À la tête d’une troupe brillante dirigée par Charles Le Noir, le célèbre acteur Mondory, au hasard de ses pérégrinations, passe en 1629 par Rouen. Pierre Corneille, qui assiste à la représentation, lui confie qu’il a écrit une comédie, sans doute trop autobiographique pour être présentée à Rouen, Mélite. Mondory, véritable homme de théâtre, pressent un nouvel auteur, emporte la pièce à Paris et la crée sur la scène du jeu de paume Berthault, où il resteront jusque fin 1631. Corneille commence à se lier avec les poètes célèbres de l’époque, Scudéry, Mairet, Rotrou. Il fréquente aussi les salons littéraires, notamment celui de Madame de Rambouillet. Si Paris l’inspire, il demeure un provincial de passage dans la capitale. La troupe de Mondory, bravant les interdits de l’Hôtel de Bourgogne doit se déplacer, au tripot de la Sphère, où sera créée La Veuve. Scudéry accueille cette dernière pièce en proclamant : « Le soleil s’est levé, retirez-vous, étoiles ! ». Corneille acquiert l’estime des poètes et commence à se ménager des protecteurs puissants.

Vivant toujours dangereusement, la Compagnie se déplace au jeu de paume La Fontaine pour La galerie du Palais et La Place Royale. Fort du succès de son nouvel auteur, Mondory  ouvre, à la barbe des Confrères de la Passion, mais avec  la protection de Richelieu, un théâtre dans le nouveau quartier à la mode du Marais, rue Vieille du Temple (à la hauteur de l’actuel N° 90).  Le Jeu de Paume du  Marais devient le Théâtre du Marais.

C’est en 1633 que Corneille attire l’attention du redouté Cardinal de Richelieu. Louis XIII, la Reine prennent les eaux de Forges, toutes proches de Rouen, dans l’espoir de donner un dauphin à la France. Le Cardinal les accompagne. L’archevêque de Rouen demande à Corneille de composer une pièce en vers latins en leur honneur.

Grand amateur de théâtre, Richelieu connaît déjà Corneille par le succès de sa dernière comédie. Il l’attache dès lors à son cabinet dramatique et en fait l’un des cinq auteurs chargés d’écrire, sous ses ordres, des comédies dont il invente le sujet :  Boisrobert, Colletet, de l’Estoile, Rotrou et Corneille.

Ce grand politique, conscient de la dégradation du langage et des outrances de certaines pièces de théâtre, tant dans leur fond que dans leur forme, reprend en main une petite assemblée de neuf gens de lettres plutôt discrets qui se réunissaient depuis 1629 et transforme cette société en Académie française dès 1635. Il en sera le protecteur. Il confie à l’Académie des tâches capitales, notamment l’élaboration d’un dictionnaire de la langue qui fixera le sens des mots et en éloignera tout ce qui est vulgaire et grossier, ce qui n’était pas rare à l’époque. L’Académie sera amenée également à faire la critique des ouvrages contemporains, soumis par leurs auteurs à son analyse.
Corneille est un littérateur, il n’a rien de l’homme de troupe et de terrain que sera plus tard Molière. Pour lui le spectacle s’incarne dans Mondory qui, le premier, a su lui faire confiance. Leurs noms seront unis jusqu’à l’apothéose du Cid.

C’est en 1633 que Corneille attire l’attention du redouté Cardinal de Richelieu. Louis XIII, la Reine prennent les eaux de Forges, toutes proches de Rouen, dans l’espoir de donner un dauphin à la France. Le Cardinal les accompagne. L’archevêque de Rouen demande à Corneille de composer une pièce en vers latins en leur honneur.

Grand amateur de théâtre, Richelieu connaît déjà Corneille par le succès de sa dernière comédie. Il l’attache dès lors à son cabinet dramatique et en fait l’un des cinq auteurs chargés d’écrire, sous ses ordres, des comédies dont il invente le sujet, ( Boisrobert, Colletet, de l’Estoile, Rotrou et Corneille).

Ce grand politique, conscient de la dégradation du langage et des outrances de certaines pièces de théâtre, tant dans leur fond que dans leur forme, reprend en main une petite assemblée de neuf gens de lettres plutôt discrets qui se réunissaient depuis 1629 et transforme cette société en Académie française, dès 1635. Il en sera le protecteur. Il confie à l’Académie des tâches capitales, notamment l’élaboration d’un dictionnaire de la langue qui fixera le sens des mots et en éloignera tout ce qui est vulgaire et grossier, ce qui n’était pas rare à l’époque. L’Académie sera amenée également à faire la critique des ouvrages contemporains, soumis par leurs auteurs à son analyse.
Corneille est un littérateur, il n’a rien de l’homme de troupe et de terrain que sera plus tard Molière. Pour lui le spectacle s’incarne dans Mondory qui, le premier, a su lui faire confiance. Leurs noms seront unis jusqu’à l’apothéose du Cid.  « Beau comme le Cid ! »

Du Triomphe à la querelle :

Depuis le 19 mai 1635, la France a déclaré la guerre à l’Espagne. Une formidable lutte contre la puissante Maison d’Autriche est engagée elle durera jusqu’à la Paix des Pyrénées en 1659.

En pleine guerre avec l’Espagne, Corneille prépare une pièce qui célèbre l’héroïsme castillan : Le Cid. Est-ce bien le moment ? Peut-être est-ce là l’origine de l’animosité de Richelieu envers Corneille dont il estimait tant le talent. Outre la mise en vedette d’un héros espagnol, le Cardinal pouvait-il goûter une telle apologie du duel qu’il avait interdit, et oublier certaines « petites phrases » cruelles à l’oreille d’un ministre qui s’efforce de maintenir une royauté absolue.
  « Pour grands que sont les rois,
      ils sont ce que nous sommes.
      Ils peuvent se tromper
      comme les autres hommes. »

Et pourtant c’est le triomphe. De quoi parle-ton à la cour, et à la ville ? Du Cid, du seul Cid dont Paris est littéralement amoureux. On apprend par cœur des tirades entières, on se grise à les déclamer. La cour fait représenter par trois fois la pièce en son palais du Louvre. Richelieu l’entendra deux fois rue Saint-Honoré.
À l’adhésion du Roi, au soutien du Cardinal, la Reine ajoute le vœu de voir le triomphateur anobli, ce qui est fait.
Tant de succès et de gloire attisent et excitent les jalousies. 1637 sera l’année de la querelle du Cid.

Brochures, pamphlets vont s’entrecroiser et les principaux adversaires seront ses anciens camarades, Scudéry et Mairet. Requête sera déposée devant l’Académie, laquelle, bien embarrassée sera obligée de statuer, le Cardinal ayant lui-même avoué «qu’il serait bien aise de voir le sentiment de l’Académie et que cela le divertirait». C’est lui qui relira le sentiment de l’Académie et en adoucira même semble-t-il, quelques jugements trop abrupts, convenant que « Bon, mais il fallait y jeter quelques fleurs ».

Il entend bien que ces fleurs mettent un point final à la querelle. Corneille qui sait ce que parler veut dire, ne se fait pas prier :
« Maintenant que vous me conseillez de n’y point répondre, vu les personnes qui s’en sont mêlées, il ne faut point d’interprète pour entendre cela. J’aime mieux les bonnes grâces de mon Maître que toutes les réputations de la terre. Je me tairai donc. »
Corneille n’apportera cependant aucun démenti à Boileau lorsqu’il publiera, bien plus tard, ces vers célèbres :
« En vain contre le Cid un Ministre se ligue
Tout Paris pour Chimène a les yeux de Rodrigue »
qui synthétisent bien, pour la postérité, ce que fut cette querelle comparable à ce que sera plus tard la fameuse bataille d’Hernani (autre sujet d’inspiration espagnole).

Le Théâtre à la française

En 1639, Richelieu, grand amateur de Théâtre fit construire en son Palais Cardinal bâti en 1629 par l’architecte Lemercier, un grand et beau théâtre inauguré en 1641 par la tragi-comédie Mirame. Ce théâtre était situé à l’emplacement de l’actuelle rue de Valois.

Mais depuis 1636, le Théâtre du Marais est lancé. Il présente, en alternance, les deux grands auteurs du temps : Tristan L’Hermitte et Corneille. Mondory, frappé d’apoplexie en scène, doit quitter ses fonctions, C’est l’acteur Floridor qui en devient la vedette, aussi talentueux dans la tragédie que dans la comédie. Corneille demeure fidèle à cette salle qui est, pour le public et au grand dam de l’Hôtel de Bourgogne, la première de Paris et enchaîne les succès, Horace en 1640, Cinna en 1641 et Polyeucte en 1642 puis La mort de Pompée.
A la mort du Cardinal, en 1642, Corneille se laissera attribuer ces quelques vers doux amers :

 Qu’on parle bien ou mal du fameux Cardinal
Ma prose ni mes vers n’en diront jamais rien,
Il m’a fait trop de bien pour en dire du mal,
Il m’a fait trop de mal pour en dire du bien.

Ce palais redevient la propriété du roi et donc Palais-Royal. Et c’est sous le règne suivant qu’il gagnera ses lettres de noblesse. Cependant en ces années contemporaines de la mort de Louis XIII, d’autres troupes tentent de manifester leur art dans la capitale.

Les débuts de Molière : « L’Illustre Théâtre »

Parmi ces talents, encore novices, on découvre une nouvelle compagnie, L’Illustre Théâtre, dirigée par Madeleine Béjart et Jean-Baptiste Poquelin, dont le père a la charge de tapissier du Roi – ce qui correspondrait de nos jours au métier de décorateur ensemblier. La cour du Roi se déplaçant beaucoup, emportait avec elle, meubles, tapisseries… enfin tout ce qu’il fallait pour aménager à la hâte les vastes châteaux composant les résidences royales.

Ne trouvant aucun lieu disponible, dans le bel enthousiasme de leur jeunesse, ils ont envie d’ouvrir un troisième théâtre à Paris. Mais ils manquent d’argent. Ils louent pourtant le 12 septembre 1643 le jeu de paume des Métayers « sis, sur le fossé et proche de la porte de Nesle » (actuellement rue Mazarine et rue de Seine).

Ils le transforment en théâtre et l’ouvrent le 1er janvier 1644. C’est un échec total. Après quelques autres tentatives malheureuses et un emprisonnement au Châtelet pour n’avoir pas payé la facture de ses chandelles, le futur Molière va quitter Paris pour une tournée provinciale qui durera plus de douze années.

Le 15 janvier 1644, un incendie détruit le jeu de Paume du Marais qui est transformé en Théâtre à la française :  un carré long, dans lequel, une scène peu profonde et un parterre à l’usage du public debout, est cerné par une galerie sur laquelle  des loges permettent à la belle société assise d’éviter toute gênante promiscuité.
L’ensemble sera bientôt équipé de machines qui orchestreront de savants changements de décors.

Il semble que ces novations aient incité les Confrères de la Passion, propriétaires du Théâtre de Bourgogne à y faire également des transformations demandées par la troupe royale dirigée par Bellerose qui rêve de plus en plus de torpiller les succès du Théâtre du Marais. Seule possibilité : attirer vers lui Floridor, persuadé que Corneille le suivra. C’est ce qui arrive en 1647 pour la création d’Héraclius.
La réorganisation des deux théâtres, voulue en fait par le Roi et son conseil au printemps 1647, n’ont pas grand effet pour le public.

La Naissance de l’Opéra :

En effet, les yeux de Paris se tournent vers la vaste salle construite, nous l’avons vu, par Richelieu, mais qui va permettre au nouveau premier ministre d’Anne d’Autriche, le Cardinal Mazarin, de faire admirer le faste des spectacles italiens, avec notamment huit représentations de l’Opéra « Orfeo » et des grands spectacles avec changements de décors selon la technique italienne, et qui vont ravir la capitale.

Un vent de fronde va mettre le spectacle au second plan. Néanmoins, en cette fin de première moitié du siècle, tout semble se mettre en place pour l’organisation magistrale, par le futur Louis XIV, du grand spectacle à la française.

Bibliographie :

*Histoire du Théâtre de André Degaine (Nizet 1992)
*Histoire du Théâtre de Lucien Dubech (en 5 volumes Librairie de France 1931)
*Dictionnaire historique des rues de Paris de Jacques Hillairet (2 volumes Editions de Minuit 1963)
*Histoire de la mise en scène dans le théâtre religieux français du Moyen-Âge de Gustave Cohen (Librairie Honoré Champion – 1951)
*Histoire des Spectacles ouvrage collectif sous la Direction de Guy Dumur ( Encyclopédie de la Pléïade 1965)
*Le Théâtre du Marais  – La période de gloire et de fortune (1629-1648) tome I de S.Wilma Dieierkauf-Holsboer (Editions Nizet 1954)
*Le Théâtre de Bourgogne (1548-1635) tome I de S.Wilma Dieierkauf-Holsboer (Editions Nizet 1968
*Le Jeu de paume des Mestayers par Auguste Vitu ( Alphonse Lemerre Editeur 1883)
*La Commedia dell’arte et ses enfants de Pierre-Louis Duchartre Editions d’Art et d’Industrie -1955)

Iconographie:
Fonds de l’Association de la Régie Théâtrale et de la Bibliothèque historique de la ville de Paris