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5. LES FOIRES ET LE PONT NEUF

par Danielle MATHIEU-BOUILLON

5. Les Foires à Paris

Les Foires et le Pont Neuf
La tradition des foires remonte très loin dans le temps. Héritières des fêtes traditionnelles issues de la tradition gallo-romaine, puis des fêtes religieuses organisées à l’occasion de l’exposition de reliques d’un saint; il faut attendre le seconde moitié du XIIème siècle pour trouver des documents les concernant.
Les trois plus anciennes sont :   
La Foire Saint-Germain (1176)
La Foire Saint-Laurent (1344)
La Foire Saint-Ovide (1764)

La Foire Saint-Germain se situait à l’emplacement où allait se tenir plus tard le marché du même nom, entre des rues sombres et étroites : la rue des Quatre Vents, la rue de Buci, l’actuelle rue Saint-Sulpice (alors rue des Aveugles), la rue Guisarde, la rue Princesse, l’actuelle rue Grégoire de Tours, jadis nommée rue des Mauvais Garçons
Neuf rues intérieures en délimitaient l’espace en quelques vingt-quatre petits îlots, portant chacun le nom d’un corps de métier.
Chaque année, la Foire Saint-Germain ouvrait le 3 février pour s’achever le dimanche de Pâques.

La Foire Saint-Laurent
s’étendait sur un vaste espace situé entre le couvent de Saint Lazare et celui des Récollets. Elle commençait fin juin et s’achevait en octobre.
Un contemporain la décrit ainsi :
« À l’un des bouts est un grand espace découvert, le reste est entrecoupé de rues larges tirées à la ligne, ornées de loges et de boutiques de même symétrie, claires et commodes, bâties agréablement ; si bien que tout l’ensemble compose un quartier propre et galant, d’ailleurs si bien situé pour une foire de Paris, qu’il ne se voit rien de semblable. »

La Foire Saint-Ovide
Plus modeste, cette foire fut installée en 1764 à l’emplacement de l’actuelle Place Vendôme, alors dénommée Place Louis XIV. Se déroulant à la même période, du 15 août au 15 septembre, elle concurrença quelque peu la Foire Saint-Germain. Un incendie la fit disparaître en 1777.

Le Pont Neuf

Parallèlement un autre lieu parisien attirait, depuis le début du XVIIème siècle, les badauds de toutes sortes : le Pont Neuf

Face à la rue Guénégaud, non loin de l’abreuvoir, Brioché, présentait son spectacle de marionnettes. Il participait aussi aux Foires et l’on raconte que l’un de ses singes, s’était battu en duel avec Cyrano de Bergerac qui l’avait occis. L’animation de ce pont était permanente et il devint très vite l’un des hauts lieux des promenades parisiennes. Devant les divers tréteaux et échoppes des animateurs et marchands en tous genres, défilait une population nombreuse et variée, curieuse de tout ce qui s’y présentait.

Tout près, sur la place Dauphine, le célèbre Tabarin (1584-1626) avait établi son théâtre. On pense que Molière enfant dut fréquenter à la fois le Théâtre de Tabarin et celui des Foires et qu’il y puisa – qui sait ?– sa vocation théâtrale. Tabarin, de son vrai nom Antoine Girard, portait une sorte de manteau, attaché à la hauteur des manches – un Tabar – qui lui donna son surnom. Improvisant monologues drolatiques, n’hésitant pas à interpeller les passants et à dialoguer avec eux, il usait surtout du monologue tout en vantant les vertus de quelques remèdes miracles. Résolument incisif, le ton était parfois provocateur et moqueur. Les « tabarinades », qui dénommaient les propos philosophico-comiques qu’il entretenait avec son maître Mondor, alternaient réflexions en tous genres, frôlant parfois l’absurde dans leur logique insensée. Il fut à l’évidence l’une des premières grandes figures comiques de la capitale.

Un poète contemporain, Berthaud, auteur d’un ouvrage sur les curiosités de la capitale écrivit ces quelques vers en parlant du Pont Neuf :

Pont-Neuf, ordinaire théâtre
Des vendeurs d’onguent et d’emplâtre,
Séjour des arracheurs de dents,
Des fripiers, libraires, pédants;
Des chanteurs de chansons nouvelles,
D’entremetteurs de demoiselles,
De coupe-bourses, d’argotiers,
De maîtres de sales métiers,
D’opérateurs et de chimiques,
Et de médecins purgitiques,
De fins joueurs de gobelets,
De ceux qui rendent des poulets.

La Foire Saint-Ovide au XVIIIème siècle

Le Théâtre et la Foire

Si le Pont Neuf demeurait accessible toute l’année, les foires n’étaient que périodiques, aussi, le public parisien, petit peuple, artisans, bourgeois ou aristocrates goûtait fort les divertissements multiples qui y étaient présentés : jongleurs, bateleurs, équilibristes, montreurs d’ours ou d’animaux divers. Ce n’est pourtant qu’à la fin du XVIème siècle, que des gens de théâtre virent le parti qu’ils pouvaient tirer de cet espace convivial, pour y monter leur propre petit théâtre.

En 1595, une troupe ambulante conduite par Jehan Courtin et Nicolas Poteau donna des représentations à la Foire Saint-Germain. Les Confrères de la Passion détenteurs, en leur Hôtel de Bourgogne de leur ancien privilège leur réservant toute exclusivité, manifestèrent leur mécontentement. Les forains furent défendus par leur public qui les appréciaient beaucoup et le Châtelet de Paris, auprès duquel le Théâtre de Bourgogne avait porté plainte contre ces misérables forains, donna raison à ces derniers qui purent continuer leurs représentations.

En 1618, deux comédiens André Soliel et Isabel Legendre demandèrent aux religieux de Saint-Germain des Prés l’autorisation «  de donner quelque récréation au peuple pendant la tenue de la foire ». On ignore quelle était leur spécialité mais l’autorisation leur fut accordée le 20 janvier.

Il pouvait s’agir de danseurs de corde ou de marionnettistes car il semble que ce furent-là les premiers genres de spectacles donnés à la Foire.
Scaron en parle dans sa description burlesque de la foire Saint-Germain. Il évoque l’apparition des animaux sauvages, lions, tigres, ours qu’on exposait dans différentes loges. Vinrent aussi des géants et autres curiosités, puis des animaux familiers, chiens, chats, rats… Les rats n’étaient pas les derniers à exhiber leurs talents, ils marchaient sur des cordes, debouts en tenant un petit balancier, d’autres esquissaient au son des violons un véritable ballet, un rat blanc de Laponie dansait même la sarabande comme un espagnol….Bref, le peuple de Paris se divertissait beaucoup face à cet ensemble si inouï de distractions diverses à bon marché.

En 1678, un premier théâtre s’établit à la Foire Saint Germain, fondé par les Frères Alard. Le premier étant grand et bien fait paraissait costumé en Scaramouche et dansait à merveille. Son cadet Pierre, était sauteur et prit le rôle d’Arlequin. Très inspirés par les Italiens, ils connurent un grand succès notamment avec un spectacle intitulé Les Forces de l’art et de la Magie d’un auteur inconnu.

Les problèmes du Théâtre forain avec la Comédie-Française

L’ordonnance royale du 21 octobre 1680, signée par Louis XIV au siège de Charleville, avait, on le sait, réuni les acteurs de l’Hôtel de Bourgogne à ceux du Théâtre Guénégaud où s’étaient retrouvés la plupart des comédiens de la troupe de Molière après la disparition de ce dernier le 17 Février 1673. La Comédie-Française était née et avait le privilège exclusif de représenter à Paris « des pièces ou comédies récitées ».

Au début, les comédiens français, forts de leur prestige et de leur valeur, n’attachèrent pas un grand intérêt à cette rivalité potentielle représentée par le théâtre de Foire. Pourtant, si les grandes pièces, comme on disait alors, les tragédies inspirées de l’Antiquité passionnaient toujours un public lettré, le public populaire, lui, se délassait plus volontiers aux comédies guillerettes des Foires.

En 1697 parut en Hollande, un roman qui allait quelque peu modifier le jeu. Il s’agissait de La Fausse prude rempli d’allusions dans lesquelles nombreux reconnurent Madame de Maintenon. Les comédiens italiens, installés en l’Hôtel de Bourgogne depuis 1680, répétaient au même moment une pièce nouvelle intitulée La fausse belle-mère. Ils eurent l’idée saugrenue de changer son titre en La Fausse Prude. Au nom du Roi, le théâtre fut aussitôt fermé et les comédiens italiens furent chassés.

Le théâtre forain profita de l’occasion pour récupérer une partie de leur répertoire qu’ils présentèrent en fragments. Le public, qui regrettait fort les Italiens, vint nombreux, ce qui entraîna la constructions de plusieurs salles de spectacle. Avec des lieux devenus plus confortables, des acteurs nouveaux venus parfois de l’étranger, ces théâtres de foire attirèrent un public de plus en plus nombreux, désireux de se distraire en s’éloignant quelque peu du répertoire par trop sérieux de la Comédie-Française qui commença à s’inquiéter.

A la suite de plusieurs procès qu’elle intenta, elle obtint que la dialogue soit strictement interdit aux Théâtres forains. Les comédiens forains organisèrent alors des successions de monologues, chaque acteur entrant et sortant après l’avoir déclamé.

Farce sur une scène foraine au XVIème siècle - Gravure de Jean de Gourmont. ( Bibliothèque nationale )

Nouvelle plainte de la Comédie-Française, nouvel arrêt de justice. On fit brûler les théâtres ( il y en avait sept à la foire Saint-Germain ). Huit jours après, reconstruits et repeints tant bien que mal, cela recommençait.

C’est alors que le Roi lança l’interdiction à ces danseurs de corde de parler en public.

On était en l’an de grâce 1710 et deux hommes d’esprit inventèrent les pièces à écriteaux. Chaque acteur ayant son rôle écrit en très gros sur un papier roulé dans sa poche le montrait successivement selon l’action de la pièce. Lorsqu’il y avait des couplets, les musiciens jouaient et des acteurs, disséminés dans le public, chantaient des paroles que la salle entière reprenait en chœur.
C’est ainsi que débuta un genre nouveau de spectacle : l’Opéra-Comique.

Les Querelles de l’Opéra-Comique et de l’Académie royale de musique

Interdiction de chanter ! C’était trop pour les forains qui durent accepter de payer des redevances à l’Académie royale de musique. Ce droit augmentant chaque année, les laissa dans un état financier tel, qu’ils durent renoncer. En 1719, les deux théâtres officiels avaient obtenu leur suppression, exception faite pour les marionnettes et les danseurs de corde.

L’activité des foires demeura cependant, car, outre les danseurs, jongleurs et autres baladins, les animaux féroces, les monstres, les phénomènes, les animaux dressés, les figures de cire, les marionnettes, les nains… y poursuivaient leur carrière.

En 1749, on vit même une attraction phénoménale dans l’arrivée d’un véritable rhinocéros qui fut la star de l’année, après une tournée européenne. Elle s’appelait Clara et est demeurée dans les mémoires.

Bibliographie
* Histoire du Théâtre de André Degaine (Nizet 1992)
* Histoire du Théâtre de Lucien Dubech (en 5 volumes Librairie de France 1931)
* Dictionnaire historique des rues de Paris de Jacques Hillairet (2 volumes Editions de Minuit 1963)Histoire des Spectacle ( Encyclopédie de la Pléïade 1965- ouvrage collectif sous la Direction de Guy Dumur)
*Mémoires de Jean Monnet Directeur du Théâtre de la Foire (Louis Michau 1884) d’après les mémoires du XVIIIème siècle
* Les Célébrités de la rue (Massin Gallimard 1981)
* Le Théâtre du Merveilleux de Marian Hannah Winter (Chez Olivier Perrin Editeur -1962)
* Magiciens des boulevards de Laurence Berrouet et Gilles Laurendon (Parigramme-1995)

Iconographie*
Fonds de l’Association de la Régie Théâtrale et de la Bibliothèque historique de la ville de Paris.

Collection A.R.T.