ou la Logique de l’absurde
(1909-1994)
1. Tribulations d’un enfant roumain
2. L’Étudiant Ionesco et l’Amour
3. Installation en France, premiers succès
4. Ionesco, auteur prolifique et inquiétant
5. Le Succès gagne l’étranger
6. Incident à la Comédie-Française
7. La Peinture, autre forme de délivrance
8. L’Inexorable défaite
9. Analyses et critiques de quelques pièces
10. Oeuvres dramatiques
11. Extraits de La Cantatrice chauve
Obsédé par la crainte de la mort dès sa petite enfance, Eugène Ionesco ne se guérira jamais de son angoisse. Et la vie ? me demanderez-vous. Elle ne saurait le rassurer. L’impression de ne pouvoir communiquer avec ses semblables et par ailleurs se sentir emprisonné dans un monde carcéral, l’angoisse… à mourir. Ionesco ne connaîtra qu’un remède à son mal être : écrire pour lutter contre l’encerclement de la vie et l’humiliation de la mort.
Il se met en scène sous le déguisement de ses personnages aux phrases toutes faites. Ses dialogues sclérosés tombent alors en poussière. Puisque la banalité est la dérision du monde dans lequel l’humanité se noie, il en joue avec une délectation désespérée.
Tandis qu’il souhaiterait se débarrasser de ce monde de cauchemar, de temps en temps il rêve : « Il m’ arrive parfois d’aimer l’existence du monde où je découvre de la beauté, je m’y attache ». (1)
Alors dans un instant d’apaisement, il récuse l’étiquette de Théâtre de l’Absurde, que quelques critiques ont collée sur son œuvre et déclare : « Mon théâtre est très simple, visuel, primitif, enfantin… » .
(1) Notes et Contre-notes Eugène Ionesco ed. N.R.F., collection Idées 1966
1. Tribulations d’un enfant roumain
Le 26 novembre 1909, à Slatina, petite ville située à 150 kilomètres de Bucarest, naît un petit garçon, auquel on donne le prénom de son père, Eugen. Ce dernier, brillant étudiant en droit, a épousé Thérèse Ipcar, fille d’un ingénieur français travaillant pour la société des Chemins de fer roumains. Le couple Ionesco paraît très heureux.
En 1911, quelques mois après la naissance d’un nouveau bébé, Marilina, la famille s’installe à Paris pour permettre à Eugen – père de préparer son doctorat en droit. Deux ans plus tard, Thérèse met au monde une nouvelle petite sœur, Mircea qui sera emportée par une méningite foudroyante à l’âge de dix-huit mois. Petit garçon de cinq ans, Eugen découvre l’horreur de la mort et en restera obsédé tout le reste de son existence.
1916, les événements internationaux se précipitent et l’étudiant Ionesco doit quitter la Sorbonne pour retourner combattre dans son pays. François Joseph vient de déclarer la guerre à la Roumanie, demeurée jusqu’alors d’une neutralité vacillante. L’arrivée de Ferdinand sur le trône change la donne et le nouveau roi, se rapprochant des alliés, entre en conflit avec l’Allemagne. Le combat se conclura très vite par la défaite. Ferdinand, signe alors un armistice séparé, le 8 mai, pour s’asseoir ensuite au banquet des vainqueurs en novembre 1918.
Eugen Ionescu devrait rentrer en France, il reste en Roumanie, mieux il demande le divorce sous le prétexte fallacieux que son épouse « aurait déserté le domicile conjugal », alors que Thérèse n’a reçu aucune nouvelle de son mari et continue à l’attendre. Sans ressource, ayant deux bambins à charge, la jeune femme accepte toutes les tâches qui se présentent. Le petit Eugen est confié à un établissement pour enfants nécessiteux. Il s’y sent abandonné. Cette expérience malheureuse ne dure que quelques semaines.
À Bucarest, M. Ionesco se remarie et obtient le poste enviable d’inspecteur général du gouvernement, avant de devenir avocat à Bucarest . Il adhère bientôt à la Garde de fer, mouvement fasciste et antisémite, soutenue par le gouvernement du IIIème Reich.
Pendant ce temps à Paris, Thérèse et ses enfants vivent chichement dans un hôtel peu confortable de la rue Blomet. Lors d’un bombardement au square de Vaugirard, Thérèse prend peur et décide d’envoyer Eugen et Marilina chez des paysans de la Mayenne. Outre que les petits seront à l’abri, ils pourront manger à leur faim…
Le séjour à la Chapelle-Anthenaise fut un bonheur pour Eugène (2). Les fermiers sont de braves gens, l’instituteur est passionnant, le curé est bon et généreux. L’enfant découvre les joies renouvelées qu’offre chaque jour la nature. Rien n’est jamais pareil, le ciel change de couleur, les oiseaux chantent, les poussins naissent, les fleurs poussent, c’est merveilleux… Eugène Ionesco n’oubliera jamais ses deux années de petit paysan. Ce fut le paradis sur terre.
Hélas, tout s’achève, la guerre est finie, le grand-père maternel prend sa retraite, il faut rentrer à Paris pour vivre tous ensemble, cinq personnes dans un appartement de deux pièces sur une cour sombre et humide, dans une petite rue de XVème. Eugène est inscrit à l’école de la rue Dupleix.
Quelques mois plus tard, le père se rappelle qu’il a deux enfants et les réclame.Le retour en pays natal ne se passe pas sans mal. Première difficulté : le jeune Eugène ne connaît pas un mot de roumain, il doit apprendre la langue dans un temps record pour entrer au lycée orthodoxe. Seconde difficulté : les rapports entre beaux-enfants et belle-mère sont virulents. Troisième difficulté : Hélène Ionesco, la seconde épouse, ne supporte plus les attouchements de son mari et, dans le ménage, les scènes succèdent aux scènes.
À Paris, sans ses enfants, la vie est trop triste pour Thérèse, aussi décide-t-elle de retourner à Bucarest où elle s’installe dans un minuscule logement. Mise à la porte par sa marâtre, Marilina rejoint sa mère. Eugène, à la suite d’une violente altercation avec son père, se réfugie auprès d’elles deux. Grâce à une bourse, le garçon peut s’installer dans une chambre indépendante et continuer ses études .
(2) Désormais le prénom Eugène s’écrira à la française.
2. L’Étudiant Ionesco et l’Amour
Au lycée, Eugène découvre la poésie surréaliste. Il dévore les textes d’André Breton, de Philippe Soupault et de Louis Aragon. Lui qui ridiculisait le nom de Tzara avant même d’avoir lu la première ligne de ses œuvres, le voici complètement enthousiaste. Passionné de littérature, Eugène délaisse ses manuels de mathématiques, physique et chimie, au grand dam de son père qui le voudrait ingénieur.
Le bac en poche. Eugène s’inscrit à la faculté des lettres pour préparer une licence de français. Il rencontre une jeune étudiante en philosophie et en droit, Rodica Burileanu, dont le père est directeur du journal « Ordinea » et les oncles : professeurs d’université, directeur de banque et célèbre pédiatre. Eugène tombe amoureux. Dire qu’il s’agit d’un simple coup de foudre serait minimiser les sentiments du jeune homme. Rodica, épousée le 8 juillet 1936, sera la seule femme que Ionesco aura adulée, admirée, remerciée, vénérée, pendant toute sa vie. On ne les verra jamais l’un sans l’autre. On ne le verra jamais accompagné d’une autre femme si ce n’est de sa fille, Marie-France. Eugène et Rodica n’ont rien à envier ni à Roméo et Juliette, ni à Philémon et Baucis. De l’adolescence à la mort, ils se sont aimés au sens le plus fort du terme.
Au cours de ses études universitaires, Ionesco se passionne pour les œuvres de Plotin, philosophe néo-platonicien, pour celles de Schopenhauer et surtout pour les travaux de son aîné Mircea Eliade qui, au retour d’un séjour de deux ans en Inde, prépare une thèse de doctorat sur l’Immortalité et la Liberté. De ses lectures, Ionesco retire un sentiment de culpabilité à l’égard de la sexualité et une profonde attirance pour le bouddhisme .
Bien que signant de nombreux essais et articles de critique littéraire et artistique, Eugène décroche en 1934 la ‘Capacitate’ de français (équivalent du C.A.P.E.S.), tandis que sa future épouse obtient celle de philosophie. L’année suivante Ionesco est nommé professeur à l’université de Cernavoda, puis au séminaire orthodoxe de Bucarest.
Deux ans après son mariage, le jeune couple sent monter les premiers effets du nazisme, s’en inquiète et décide de rejoindre Paris sous le prétexte d’y terminer leurs études. Eugène obtient une bourse d’études à l’Institut français de Bucarest pour préparer sa thèse sur « Le Péché et la Mort dans la Poésie française depuis Baudelaire », thèse qu’il n’ a pas le temps d’achever, mobilisé en 1939 comme citoyen roumain, il doit rentrer dans son pays.
3. Installation en France, premiers succès
Il faudra attendre mai 1942 pour que M. et Mme Ionesco aient enfin une adresse en France. C’est en zone libre, à Marseille, qu’ils s’installent . Les difficultés financières sont pesantes, mais ils sont jeunes et pleins d’espoir. Ils font la connaissance de poètes provençaux Jean Ballard, Jean Tortel et à travers eux découvrent tout le charme de la Provence. En 1944, leur bonheur est à son comble, ils vont avoir un enfant. Afin que cette naissance se passe le mieux possible, Rodica décide de faire en juin une cure à Vichy. Imprudente, elle se promène à bicyclette et chute. Marie-France naît prématurément. Eugène resté à Marseille apprend la nouvelle par la Croix-Rouge. Il en oublie toute la philosophie du monde.
À la fin de la guerre, les Ionesco se fixent définitivement à Paris. La misère est menaçante. Pour subsister, Eugène s’attelle à des traductions d’auteurs roumains et tout particulièrement aux œuvres du poète Urmus, précurseur des Surréalistes. Il suit de près les nouvelles venant de Bucarest. Il aurait aimé que son pays, débarrassé du nazisme, redevienne une nation démocratiquement libre, or il n’en est rien, la dictature stalinienne est en train de s’installer en Roumanie. À la demande d’un ami journaliste, resté sur place, Ionesco lui envoie un article intitulé Lettres de France, dans lequel il dénonce la xénophobie des futurs dirigeants : «… émanation de ce que la Roumanie avait de plus sordide, l’armée, la police et les popes avides et athées ». Au cours d’un procès, il est condamné par contumace à six ans de prison. Il ne retournera donc plus à Bucarest pendant de longues années et se fera naturaliser Français.
À Paris, la situation du ménage ne s’améliore pas. Eugène se fait correcteur pour des épreuves aux éditions juridiques et médicales et ne rechigne pas à accepter un poste de manutentionnaire chez Ripolin. En rentrant chez lui, le soir, pour se purger la tête, il prend plaisir à relire ses anciens écrits et retrouve des notes datant de plusieurs années: « J’eus l’idée un beau jour de mettre, l’une à la suite de l’autre, les phrases les plus banales, faites de mots les plus vides de sens, des clichés les plus éculés que j’ai dû trouver dans mon propre vocabulaire, dans celui de mes amis ou d’une manière plus réduite dans les manuels de conversations étrangères ». (4.5) Sans doute ces phrases auraient-elles fini au panier si Ionesco n’avait pris connaissance des «Exercices de Style » de Raymond Queneau. Mais il les avait lus et se disait qu’après tout ses élucubrations n’étaient pas plus extravagantes que celles de son futur confrère : « J’avais une intention très précise de faire une parodie de pièce. C’est pour cela que j’avais mis en titre « Antipièce »…. Un jeune metteur en scène (6), dans les mains duquel tomba tout à fait par hasard ce texte, considéra que c’était une œuvre théâtrale. Bataille en fit un spectacle : La Cantatrice Chauve. » (7) Et pourquoi Cantatrice chauve ? Tout simplement parce qu’au cours d’une répétition, alors qu’auteur et metteur ne se mettaient pas d’accord sur le nom de la pièce, le comédien qui jouait le rôle du pompier oublia son texte et au lieu de citer une cantatrice blonde il annonça une cantatrice chauve. « Euréka s’écria Ionesco, le titre de ma pièce est trouvé ».
Pierre Leiris, directeur d’un petit théâtre, rue Champollion, prête sa salle. Les comédiens, tous des élèves de cours dramatiques, qui ne sont jamais montés sur scène, sont heureux de faire leurs débuts. L’un d’eux connaît un brocanteur du Village Suisse, il lui emprunte quelques petits meubles, Nicolas Bataille, ancien assistant de E. Autant et de Louise Lara est un ami de leur fils Claude, celui-ci vient de terminer le tournage d’Occupe-toi d’Amélie et fournit quelques costumes.
Ainsi sans argent, sur la scène des Noctambules, le 16 mai 1950 à 18h, -horaire inhabituel-, (8) le rideau se lève sur La Cantatrice chauve, personnage aussi invisible que le fut en son temps l’Arlésienne. Tandis qu’une pendule anglaise sonne dix-sept coups, Mme Smith entame la conversation tandis que M. Smith lit son journal. : «Tiens, il est neuf heures. Nous avons mangé de la soupe, du poisson, des pommes de terre au lard, de la salade anglaise… ».
La salle est vide ou presque. Comment faire de la publicité sans dépenser un sou ? Dès le lendemain, l’auteur, le metteur en scène et les comédiens se transforment en hommes-sandwichs et déambulent boulevard Saint-Michel avec l’affiche du théâtre sur le dos.
Le sauveur apparaît, c’est Raymond Queneau qui assiste au spectacle et en sort enthousiaste. Il informe Jacques Lemarchand, Jean Tardieu, Armand Salacrou et Marcel Duhamel. Grâce à ce découvreur opportun, les cinquante personnes qui font le Tout-Paris littéraire sauront dorénavant qu’un auteur étrange, indéfinissable, intéressant est apparu dans une petite salle de la rue Champollion.
À la suite de cette expérience inespérée, Ionesco rencontre Arthur Adamov, Luis Bunuel, mais aussi André Breton, Philippe Soupault et autres poètes surréalistes qui le considèrent désormais comme l’un des leurs. Entraîné dans ce tourbillon de rencontres, de conversations, de projets, Ionesco se laisse convaincre par Nicolas Bataille et accepte de jouer la comédie. En août 1950, il interprète le rôle de Stepan Trodimovitch dans l’adaptation des Possédés au théâtre de l’Œuvre. Mais, il est temps de se reprendre, pense-t-il : « L’invraisemblable et l’insolite sont mon univers ». Les exhibitions et les parlotes ne sont pas dans son programme. Ionesco rencontre alors un jeune comédien courageux : Marcel Cuvelier, prêt à se lancer dans l’aventure. Il lui confie sa deuxième pièce La Leçon. Interviewé, Ionesco s’explique que c’est : « ..l’histoire d’un grand érudit du siècle qui a l’habitude d’assassiner ses jeunes étudiantes à la fin de son cour. C’est une manie répréhensible assurément, mais les services que notre savant rend à la science sont si importants qu’on ne lui en tiendra pas rigueur .» (9)
(4) La Méthode Assimil, très en vogue dans les années 1945-1950
(5) Ionesco, auteur Simone Benmussa collection Théâtre de tous les Temps, édition Seghers.
(6) Nicolas Bataille
(7) Ionesco, auteur Simone Benmussa
(8) La pièce s’arrête en juillet 1950. Elle sera reprise avec La Leçon au théâtre de la Huchette d’octobre 1952 au mois d’avril 1953. Les deux pièces seront définitivement à l’affiche depuis cette date et ne connaîtront plus d’interruption
(9) Arts 10 octobre 1952
4. Ionesco, auteur prolifique et inquiétant
C’est un fait, après La Leçon, il n’est plus question pour Ionesco de choisir une autre voix que celle de l’écriture dramatique. Il écrit, il écrit, il écrit des petits actes Les Salutations, L’Avenir est dans les œufs , Les connaissez-vous, le Maître, Le Salon de l’automobile, La Jeune fille à marier, Le Rhume onirique, La Nièce épouse, Les Grandes chaleurs, mais compose aussi une comédie d’une grande portée Les Chaises.
Bien qu’il se soit protégé pour écrire, tranquille, chez lui, avec pour seule correctrice, sa chère Rodica, Ionesco est sollicité par le Collège de la Pataphysique. Invité par Boris Vian, Raymond Queneau, Jacques Prévert, Marcel Duchamp, il ne peut qu’adhérer à ce mouvement, il a trop d’admiration pour le talent de tous ces artistes et se sent fort honoré d’être intronisé « transcendant satrape ».
Ce sera un troisième jeune metteur en scène, Sylvain Dhomme, qui montera Les Chaises en août 1942 au nouveau théâtre Lancry. Ionesco met en scène un couple pitoyable. Au soir de leur existence, faite de déboires et de désillusions, ces vieillards ratés espèrent encore intéresser le monde. Ils préparent une réception. Pour recevoir tous leurs invités, ils ont installé des chaises, et encore des chaises …mais ces chaises resteront vides.
Dans le programme, l’auteur explique son intention : « Ces invités invisibles sont les angoisses, la vengeance inassouvie , la culpabilité, la lâcheté, la vanité, l’humiliation, la défaite des vieux. Ils sont vieux eux-mêmes. C’est donc devant leur propre conscience qu’ils espèrent follement se racheter. Mais le remord implacable, symbolisé par les chaises vides grandit, s’étend, remplit la scène, colle les vieux au mur, les tue ».
Le cri d’horreur poussé par l’ensemble des critiques : « œuvre pénible (10), inutilité, gratuité, viduité du verbiage à prétention métaphysico-psychologique (11), noir ennui (12) » n’est compensé que par les « bravos » criés à la fin du spectacle par Jacques Audiberti, par une lettre de Samuel Beckett : « Je viens de voir votre pièce Les Chaises. Je tiens à vous dire combien elle m’a touché », et par un article indigné d’Arthur Adamov : « À un homme qui se met à nu avec un tel courage, on doit au moins le respect ».
La pièce aura sa revanche. Reprise au Studio des Champs-Élysées sous la direction de Jacques Mauclair, le 10 février 1956, elle inspire un long article signé Jean Anouilh en première page du Figaro qui se termine ainsi : « … je crois bien que c’est mieux que Strindberg parce que c’est noir « à la Molière », d’une façon parfois follement drôle, que c’est affreux et cocasse, poignant et toujours vrai et – sauf un tout petit coup d’avant-garde vieillotte que je n’aime pas vers la fin – que c’est classique. Je termine pourtant par une simple remarque d’ordre psychologique. Je suis orfèvre, je n’ai jamais vu Ionesco, je suis joué dans le théâtre d’à côté et je n’ai aucun intérêt personnel à ce qu’on se trompe de porte » . (13)
Pour accompagner Les Chaises, s’inspirant de l’Impromptu de Versailles, Ionesco se fait un malin plaisir d’écrire l’Impromptu de l’Alma. C’est une œuvre satirique dans laquelle il met en scène son propre personnage et tente de répondre à quelques critiques dramatiques suffisants et doctoraux. Il renvoie dos à dos les censeurs aux vieilles théories et les jeunes pédants, inventeurs des formules comme la Théatrologie, la Costumologie, ceux qui ne reconnaissent que Brecht et sa théorie de la Distanciation. La salle s’amuse comme une folle en mettant des noms sur les personnages. Les recettes plafonnent. Les Chaises désormais seront jouées dans le monde entier.
En 1953, l’auteur Ionesco fait la connaissance du comédien Jacques Mauclair. Ce sera le début d’une collaboration de trente ans. Ionesco confie à Mauclair sa dernière œuvre : Victimes du Devoir pour la monter au théâtre du Quartier Latin, rue Champollion. Sur l’étroite scène de quatre mètres sur trois, un couple de petits bourgeois reçoit inopinément un policier arrogant, brutal et sans gêne qui oblige le mari à descendre, à remonter, à aller à venir dans son « enfer intérieur » sans jamais lui permettre de s’en sortir.
« Nous nageons, écrit la critique, dans une sorte de rêve abracadabrant et burlesque » (14). Ionesco n’assiste pas à la première représentation, il est trop angoissé. Toutefois un soir il s’oblige a venir écouter en coulisse les réactions de la salle. Au bout de quelques minutes, il est content : « On rit » , mais bientôt son visage se fige : « On rit trop », le public se moque… il est imbécile, ce public, il n’y comprend rien.
La notoriété de Ionesco s’impose curieusement par la représentation de sept comédies en un acte, que présente Jacques Polieri. L’auteur des sketchs : La Jeune fille à marier, Les connaissez-vous, Le Maître, Le Salon de l’automobile, Le Rhume onirique, La Nièce épouse, Les Grandes chaleurs n’est plus considéré comme un turlupin sans importance, mais comme un dramaturge aux œuvres inquiétantes et quelque part morbides : « Je crains qu’il ( Ionesco) ne s’acharne à tuer la beauté du monde et qu’il n’ait tué une certaine forme de tendresse comme on étouffe un oiseau. L’humour cruel – qui n’est pas l’humour noir – grince quelque peu sur les rails de l’Europe centrale, je devine bien quel poids de malheur doit peser sur les épaules de ces gens-la .» (15)
Eh non, le théâtre de Ionesco ne s’intégrera jamais dans le rayon vaudeville.
Tandis que Jacques Audiberti qualifie de « Bang supersonique » le théâtre de Ionesco, ce dernier corrige des épreuves d’ Amédée ou Comment s’en débarrasser, que Jean-Marie Serreau va afficher au théâtre de Babylone le 14 avril 1954. Il s’agit de deux époux qui vivent ensemble mais ne s’aiment plus. Un jour apparaît un mannequin, cadavre matérialisé de leur bonheur perdu. Atteint du syndrome de « progression géométrique », ce personnage de carton et de papier mâché ne cesse de grandir au point d’envahir l’appartement, tandis que des champignons vénéneux prolifèrent sur les murs et le plancher. La situation devient affolante. Comment faire disparaître ce simulacre gigantesque, sinon en le noyant dans la Seine ? Lorsque Ionesco écrit son « drame-comique », il ne sait pas que la réalité rattrapera la fiction.
Quelques mois après la dernière représentation d’ Amédée, le théâtre de Babylone fait faillite. On vend les meubles et accessoires aux enchères, mais personne ne veut du mannequin encombrant. Le régisseur le coupe alors en morceaux et les jette dans les poubelles alentour. Le lendemain matin, colère des concierges du quartier qui s’en prennent véhémentement à Jean-Marie Serreau. Ce dernier paniqué s’en va en cachette la nuit venue abandonner le torse, les membres et la grosse tête de l’épouvantail sur les berges de la Seine.
Pendant ce temps Eugène Ionesco assiste aux répétitions du Tableau et de Jacques ou la Soumission, comédie dite naturaliste, créée le 13 octobre 1955, sur la scène du théâtre de la Huchette. (16) Une suite sera donnée à Jacques. Il s’agit d’un acte intitulé L’Avenir est dans les œufs – un délire théâtral, annonce le programme, représenté en juin 1957 au théâtre de la Cité universitaire et que reprendra Jean-Marie Serreau au théâtre de la Gaîté en 1962.
Certes, depuis un certain temps, les pièces de Ionesco sont jouées en Belgique, aux Pays-Bas, en Suisse, en Allemagne, en Suède, en Argentine, en Angleterre, au Canada, aux Etats-Unis. Luis Buñuel a souhaité mettre en scène Jacques ou la Soumission à Mexico, mais c’est la première fois, en cette année 1955, qu’une œuvre inédite sera montée à l’étranger. Honneur à la Finlande qui ose créer Le Nouveau locataire, dont la reprise à Paris aura lieu au théâtre de l’Alliance française en septembre 1957.
(10) Lettres françaises Renée Saurel, 2 mai 1952
(11) Libération G.D. 28 avril 1952
(12) Le Figaro Jean-Baptiste Jenner 26 avril 1952
(13) Il s’agit d’Ornifle ou le Courant d’Air joué à la Comédie des Champs-Élysées.
(14) Ce Matin-Le Pays, André Ransan 2 mars 1953
(15) Combat, Henri Magnan, 11 août 1953
(16) Cf Analyse et critiques
5. Le Succès gagne l’étranger
1958 est une année très importante pour la carrière d’Eugène Ionesco. Après avoir recueilli, au Royal Court Theatre de Londres, un triomphe sans précédent de la part d’un public exalté, La Leçon et Les Chaises sont démolies par le très célèbre critique de l’Observer, Kenneth Tynan : « M. Ionesco offre certes une « évasion du réalisme » mais une évasion vers quoi, ? (…) Que M. Ionesco le veuille ou non, toute œuvre théâtrale digne d’attention affirme quelque chose ! ». Ionesco s’insurge et profite de son droit de réponse: « Une œuvre d’art a un système d’expression qui lui est propre … (17) » M. Tynan reprend la plume pour soutenir qu’un écrivain doit affirmer sa position. Ionesco se défend avec courtoisie mais avec fermeté: « Diriger le cours du monde, c’est l’affaire des fondateurs de religion, des moralistes et des politiciens… Renouveler le langage, c’est renouveler la conception, la vision du monde » et cette tâche, c’est sa mission à lui, Eugène Ionesco. Orson Wells se fait arbitre et donne raison à tout le monde : « En tant qu’admirateur enthousiaste de M .Ionesco, j’ai eu l’impression que M. Tynan exagérait un peu (…) mais les déductions les plus sombres de M. Tynan paraissent justifiées: on ne prouve pas la faillite du langage sans prouver du même coup la faillite de l’homme». (18) La controverse fait grand bruit dans le monde littéraire de Londres. Puis le temps passe, les lecteurs se lassent et l’affaire retombe comme un soufflet. Néanmoins pour Ionesco l’aventure est juteuse, désormais sa notoriété s’étendra hors des limites de l’hexagone. Il est invité dans les instituts français de Rome, de Florence, au théâtre national d’Helsinki, dans les universités américaines. Il y donne des conférences et participe à des colloques.
S’inspirant d’un cauchemar obsédant, Ionesco écrit un court récit, La Photo du général dans lequel il raconte: « Je cherchais un assassin. Tout à coup dans la pénombre, je l’aperçois. Je vais vers lui, c’est alors que j’aperçois son couteau…Ce couteau a coupé le film de mon rêve… ».
Ces quelques pages serviront d’ébauche à un nouveau manuscrit : Tueur sans Gage. Une pièce policière, dans laquelle la gendarmerie se désintéresse des crimes qui ensanglantent une ville. Pour la première fois apparaît Bérenger, un personnage poétique, naïf et sensible, à l’identité variable selon la pièce. Il est le porte parole, l’avocat de Ionesco. Il témoigne en sa place de son humour, de ses angoisses, de ses croyances, de ses incertitudes, de ses désespoirs. Tueur sans Gage sera créé tout d’abord en RFA puis reprise à Paris, au Théâtre Récamier, le 27 février 1959, dans la mise en scène de José Quaglio.
Le 6 novembre 1959 sur la scène du Schauspielhaus de Düsseldorf est créée la première grande pièce de Ionesco : Rhinocéros, tirée d’une nouvelle de l’auteur publié en 1957 dans Les Lettres nouvelles. C’est à l’Odéon-Théâtre de France que Jean-Louis Barrault affichera le spectacle le 22 janvier 1960 (19). « Barrault ne manque pas de courage en montant ma pièce dans un théâtre d’Etat » (20) reconnaît Ionesco, jusqu’alors relégué dans les petites salles. Certes, la pièce s’inspire des Métamorphoses de Kafka, mais elle fait surtout office de psychanalyse pour Ionesco. Il peut ainsi se libérer des horreurs du fascisme connues en Roumanie. Le souvenir de son père, applaudissant au nazisme lui est douloureux et quelle que soit l’origine du totalitarisme, il est profondément dégoûté de cette épidémie qui se répand comme une traînée de poudre parmi des êtres faibles et les transforme en monstres. La pièce sera l’un des plus grands succès de l’après-guerre. L’œuvre sera interprétée dans le monde entier, Orson Wells en demandera les droits afin de la présenter au Court Theatre avec Laurence Olivier dans le rôle de Bérenger.
Le succès appelant le succès, Ionesco est sollicité de toutes parts. Il écrit l’argument d’un ballet Apprendre à marcher, sur une chorégraphie du danseur anglais Deryk Mendel.
Il compose le livret de la version-opéra de sa pièce en un acte Le Maître sur la musique de Germaine Tailleferre. Il écrit le scénario et les dialogues du sketch : La Colère pour le film Les Sept péchés capitaux.
En 1962, Ionesco revient au théâtre avec un sketch Délire à deux, partageant ainsi l’affiche avec Jean Vauthier et François Billetdoux, au Studio des Champs-Élysées dans la mise en scène d’Antoine Bourseiller.
En dépit de ces nombreuses et diverses créations, Ionesco trouve le temps d’écrire : Le Roi se meurt (21) créée le 12 décembre 1962 au théâtre de l’Alliance française et Le Piéton de l’Air. « J’ai toujours été obsédé par la mort. Depuis l’âge de quatre ans, depuis que j’ai su que j’allais mourir, l’angoisse, ne m’a plus jamais quitté (…) J’écris pour crier ma peur de mourir » déclare Ionesco, qui vient de fêter son cinquante-troisième anniversaire et dont la santé se fragilise.
Quoique traumatisante, la scène d’agonie du vieux souverain ne manque pas d’humour. Les spectateurs ne peuvent s’empêcher de sourire à certaines répliques naïves du mourant : « J’aimais tellement le pot-au-feu (…) Le bouillon… Les pommes de terre chaudes… Les carottes bien cuites ». Néanmoins le public reste terrorisé en entendant Bérenger Ier s’écrier dans son dernier souffle : « Je pourrais décider de ne pas mourir … Si je décidais de ne pas vouloir, si je décidais de ne pas me décider… » et il expire. Quel aveu d’impuissance de l’homme qui n’a rien à vouloir, ni à espérer !
Par un hasard de calendrier, la veille de la répétition générale du Roi se meurt avait lieu au Schauspielhaus de Düsseldorf celle d’un autre chef d’œuvre, Le Piéton de l’Air que Jean-Louis Barrault affichera à l’Odéon-Théâtre de France le 8 février 1963. L’ouvrage est poétique, onirique et désespéré. « Il y a d’une part un rêve, rêve de libération, de puissance, et d’autre part, une critique, une satire, une description réaliste de la vie de cauchemar dans les régimes totalitaires, une prophétie de malheur.» Ainsi l’auteur définit-il sa pièce. (22)
Certains critiques déçoivent Ionesco. La pièce intéresse peu les responsables des rubriques théâtrales. La presse se passionne plus pour le personnage Ionesco que pour son œuvre. L’auteur en veut pour preuve les titres des articles : « Lui qui a débuté dans les petits théâtres le voici à l’Odéon, Le Ministre Malraux était dans la salle », « Se prend-il trop au sérieux ? », « Est-il au bout de sa carrière ? ». En revanche ( à l’exception des invités de la générale et de la première qui se font l’écho des journalistes ) le public est chaleureux. Il est à la fête quand il entend Bérenger, le piéton de l’air, s’écrier « Je me sens soulevé submergé de joie (…) L’homme peut voler beaucoup plus haut qu’un criquet ». Le ciel va enfin s’entrouvrir devant l’homme cerf-volant. C’est alors que Bérenger découvre l’enfer: « J’ai vu des colonnes de guillotinés marchant sans tête, sur d’immenses étendues…Et puis et puis, je ne sais pas, des sauterelles géantes, des anges déchus, des archanges vaincus ». La vision du paradis est donc un leurre, une horrible déception pour le public. Néanmoins la salle applaudit de tout cœur au rideau final.
Un voyage officiel au Japon, le tournage, à l’Université de Bristol d’un scénario tiré du Nouveau locataire, les premières représentations en Roumanie d’une de ses pièces, en l’occurrence Rhinocéros, font oublier à Ionesco ses déboires avec la presse parisienne. Pour les fêtes de fin d’année 1964, le Schauspielhaus de Düsseldorf présente la dernière pièce de Ionesco La Soif et la faim.
La nouvelle année commence par une croisière sur le France au cours de laquelle Nicolas Bataille, le découvreur de l’auteur Ionesco, remonte le sketch Délire à deux.
(17) idem
(18) idem
(19) cf. Analyse et Critiques
(20)Paris-Théâtre N°156
(21) cf. Analyse et critiques
(22) Entretiens avec Eugène Ionesco Claude Bonnefoy Éditions Pierre Belfond 1966
6. Incident à la Comédie-Française
En février 1966, Jean-Marie Serreau est appelé à la Comédie-Française pour y mettre en scène La Soif et la Faim. Jamais Ionesco n’a été aussi anxieux, angoissé, torturé, affolé. La pièce n’est pas facile. Cette fois-ci,l’auteur s’attaque au problème de la Foi : « Le héros de ma pièce Jean a soif et a faim . De quoi ? Il n’en sait rien lui-même. C’est une quête inutile, le Graal irrationnel sans but. De toute façon, j’attends que les critiques expliquent ma pièce pour l’expliquer moi-même. Depuis deux mois que nous répétons, je m’enivre de désespoir… Ma pièce est un cauchemar de plus ».(23) De plus, Ionesco manque de confiance envers son metteur en scène dont il craint l’indépendance artistique. Serreau n’hésite-t-il pas à déclarer : « Un metteur en scène doit trahir un auteur comme une belle robe trahit une belle femme ».
Les abonnés des « mardis habillés » sont furieux. Dès les premières répliques, les comédiens entendent monter du public des murmures de protestation. Le chahut atteint son paroxysme lors de la scène du lavage de cerveau infligé à deux prisonniers en cage. Affamés, les malheureux supplient les moines, leurs geôliers: « Donnez- moi à manger, par charité ! » Pour obtenir un croûton, il leur faut réciter le Notre Père et par là même adhérer à la religion catholique, eux qui ne croient pas en Dieu. Dans la salle, on hurle : « Ce n’est plus une révolte, sire, c’est une révolution ». Les représentations suivantes sont de plus en plus houleuses. Au cours d’un des derniers soirs, Robert Hirsch qui tient le rôle de Jean, le personnage principal, est au bord de la crise nerveuse et ne se contrôle plus. Il s’avance vers les spectateurs et le visage déformé par la colère, il leur crie « Merde ». À l’étonnement de tous, ce mot magique désamorce la crise comme s’il rassurait le public et la pièce se termine presque normalement. Mais le lendemain la presse s’empare de l’anecdote et le Tout-Paris littéraire en fait gorge chaude. : La Soif et la Faim est la pièce où Robert Hirsch a dit « Merde » au public » et on en restera là… Pas d’autres commentaires…
Les spectacles suivants signés Ionesco, La Lacune, monté à l’Odéon-Théâtre de France, Exercices de conversation et de diction françaises pour étudiants américains, au Théâtre de Poche, Mêlées et Démêlés au Théâtre La Bruyère, seront joués dans un climat beaucoup plus serein. Une reprise du Roi se Meurt à l’Athénée sera triomphale.
Par besoin de s’expliquer, de se faire comprendre, Ionesco publie au Mercure de France son Journal en Miettes. C’est en partie l’ouvrage d’un philosophe qui se réfugie dans l’étude du bouddhisme et de la psychanalyse.
La gloire à son apogée
À partir de 1968, les pièces d’Eugène Ionesco feront partie du patrimoine culturel mondial. Bucarest le découvre et cherche à se l’approprier comme auteur national. Mais Ionesco s’est fait naturalisé Français depuis bien longtemps et le régime de dictature qui règne alors sur la Roumanie ne le fera pas revenir sur sa décision.
En ces années 1968-1969, Ionesco est comblé d’honneur. Outre les invitations officielles au Mexique, en Israël, aux U.S.A., en Suède, il reçoit la médaille de Monaco des mains du Prince Régnier, Paris lui décerne le Grand Prix National du Théâtre, il est élu à l’Académie française au siège de Jean Paulhan.
Cinq ans après les représentations de La Soif et la faim, le 11 septembre 1970, Ionesco remporte un joli succès avec sa nouvelle œuvre Jeux de Massacre qui ne comporte pas moins de vingt-huit tableaux au cours desquels rôdent les épidémies, la souffrance, la séparation, le suicide, l’incendie, le meurtre, en un mot, la mort, dans des scènes où se mêlent tendresse et grand guignol. La crainte de la vieillesse, annonciatrice de l’anéantissement fatal, est devenue si intense chez l’auteur qu’il ne peut plus traiter d’autres sujets. Son obsession se retrouve dans chaque réplique. Quand il fait dire au Vieux face à son épouse mourante : « Ma chérie, tu m’as promis de rester avec moi jusqu‘à la fin des jours. Tu ne peux pas me quitter, tu l’as promis. Tu ne dois pas, tu ne dois pas … » n’est-ce pas lui Eugène qui s’adresse à sa bien-aimée Rodica ? Les critiques du spectacle, mis en en scène par Jorge Lavelli, sont particulièrement élogieuses. Jean-Jacques Gauthier lui-même, qui en son temps avait traité Ionesco de plaisantin, de mystificateur et de fumiste (24) s’enflamme dans sa rubrique du Figaro : « Ces Jeux de massacre, je les célèbrerais et les sauverais mille fois à moi seul, s’il en était besoin… Un chef d’œuvre ! ». Il est vrai qu’à présent MM. les Académiciens Gauthier et Ionesco se rencontrent tous les jeudis aux séances du Quai Conti…
(23) Le Nouvel Observateur 16 février 1966
(24) cf. Jacques ou la Soumission, le Figaro 17 octobre 1955
7. La Peinture autre forme de délivrance
Depuis quelques mois, les sujets de pièces se font rares, l’inspiration semble s’évanouir ou du moins se déporte-t-elle vers une autre forme d’art et l’auteur dramatique cède la place à l’artiste peintre. Ionesco renaît. Les toiles, les couleurs lui rendent le bonheur de créer qu’il avait connu trente ans auparavant face à la page blanche. Sa première exposition a lieu à Genève et elle sera suivie de nombreuses autres. Aux cahiers de notes se joignent les carnets de dessins emportés par Ionesco lors de ses voyage en Amérique Latine, en Yougoslavie, aux Etats-Unis, en Autriche. À Vienne il reçoit le Grand Prix de la Littérature Européenne. L’artiste-peintre Eugène Ionesco est né.
En 1972, Ionesco reprend la plume pour composer, en un mois une parodie de Macbeth, intitulée : Macbett . Elle « se situe entre Shakespeare et Jarry et assez proche d’Ubu Roi ». (25) Le spectacle est joué sur la scène du théâtre Rive Gauche, un retour aux sources en quelque sorte. Si absurde et si drôle que se veuille la comédie, elle dénonce l’angoisse de son auteur. Pierre Marcabru ne s’y laisse pas prendre : « Derrière la farce se cache un homme peureux et qui a une vision macabre du monde ». (26)
Après Macbett, ce sera, au Théâtre Moderne, la création en novembre 1973 de Ce Formidable Bordel, tiré du seul roman signé Ionesco, Le Solitaire, et mis en scène par Jacques Mauclair. « Ce Formidable Bordel », raconte Philippe Tesson, c’est la vie, ce bric-à-brac monstrueux, dont on ne sait ni d’où ça vient, ni où ça va, ni comment on y va… » (27)Le personnage principal est peu bavard, il regarde, il jauge, il juge et se protège du monde. Tandis que les critiques officiels, MM. Gauthier, Kanters, Cournot sont dithyrambiques, le jeune public, celui qui a vécu les journées chaudes de 1968, s’interroge. Il est dérouté. Jusqu’alors Ionesco passait sinon pour un auteur de gauche, du moins un ennemi des dictatures, du totalitarisme, de l’intégrisme, en un mot de toutes les formes d’asservissement et voici qu’il se montre à présent conservateur, adversaire de toute évolution. Quelle position adopte-t-il lorsqu’il fait dire à l’un de ses personnages « …exploitation de l’homme par l’homme, injustices sociales, carences économiques, tout cela semble bien peu pour justifier le massacre universel. Les idéologies, les revendications ne peuvent expliquer tout, elles sont bien en deçà des cataclysmes que cela produit… » ? Eugène Ionesco ne donne pas sa réponse.
Il poursuit ses voyages à Rome à Dubrovnik. Il est fait Doctor Honoris Causa à Tel Aviv et écrit une nouvelle pièce : L’Homme aux valises. C’est la descente aux eenfers d’un amnésique à la recherche de son passé. « J’essaie cette fois, explique le dramaturge, d’employer des situations de rêve dans un langage parlé également onirique. Jusqu’ici j’avais toujours dissocié le langage de la situation. Je les réunis pour la première fois. » (28) En écoutant la pièce, on ne peut oublier les allusions au voyage d’Ulysse, ni l’attirance de l’auteur pour les travaux de Jung sur l’inconscient. Le voyageur encombré de ses valises, personnage anonyme, c’est une fois encore Ionesco qui se met en scène, chargé de tous ses souvenirs heureux ou malheureux, les beaux jours de la Chapelle anthenaise et l’enfer d’un Bucarest nazifié…
Après L’Homme aux valises, il faudra attendre sept ans pour que le titre d’une nouvelle pièce soit affiché au fronton d’un théâtre.
Pendant ce temps on retrouve l’auteur au Festival de Salzbourg où il reçoit la médaille Max Reinhardt, puis, toujours accompagné de Rodica, invité au Japon, en Thaïlande, en Californie. À Santa Cruz il est reçu Visiting Professor. Il fait une tournée de conférences à Berkeley, San Francisco, Santa Barbara, Los Angeles… En dépit de tous ces voyages, il écrit de nombreux articles, des nouvelles, des essais, pour le Figaro, le Monde, l’Express. Il peint, il prépare des expositions pour des galeries de Saint Gall, Lugano, Locarno, Bâle, Athènes …
Bien que fort occupé par toutes activités artistiques et mondaines, Ionesco projette d’écrire une grande saga autobiographique pour laquelle il ne cesse de noter ses souvenirs et ses impressions, ses confessions. Cet immense ouvrage ne verra pas le jour.
Fait exceptionnel, l’événement théâtral de la rentrée d’automne 1982 n’a pas lieu sur une scène parisienne, il se produit sur la station de France Culture, le jeudi le 23 septembre à 20 heures, par la diffusion de Voyage chez les Morts, signé Ionesco. Il s’agit d’un assemblage de monologues et de scènes essentiellement autobiographiques. Un vivant descend aux enfers pour régler ses comptes avec ses aïeux, ce voyageur du néant c’est l’auteur lui-même, errant à l’aveuglette dans les ruines de son passé.
Depuis plusieurs années, après ses études de lettres, Marie-France assiste son père dans ses travaux. Sur l’insistance de la jeune femme, Ionesco renoue le contact avec Roger Planchon, directeur du T.N.P.de Villeurbanne, rencontré bien des années auparavant, lorsque le jeune metteur en scène montait Paolo-Paoli d’Arthur Adamov. Après plusieurs rendez-vous, les deux hommes se mirent d’accord pour présenter Voyage chez les Morts. Contrairement à son ordinaire, Ionesco n’assiste pas aux répétitions (29) , il n’assiste pas non plus à la première représentation. Ce soir-là, il laisse à son personnage principal, interprété par Jean Carmet (30) le soin de converser en scène avec ses anciens complices Arthur Adamov et Samuel Beckett ( Alexandre et Constantin dans la pièce ). Les critiques, non plus que le public, ne savent comment réagir à un tel spectacle. Les jeunes censeurs n’ont ni le respect, ni la retenue de langage que témoignent leur aînés à l’égard du Maître et ils y vont gaillardement : « Ni L’Homme aux Valises, ni Voyage chez les Morts ne sont de bonnes pièces et valent d’être représentées » (31), « L’authenticité de cette autobiographie onirique ne prête à aucune contestation. C’est l’affabulation dramatique qui laisse à désirer. Le rêve, répétons-le avec René Clair, ne fournit pas nécessairement un bon thème dramatique ». (32)
Pour sa dernière pièce Voyage chez les Morts, Ionesco fait l‘unanimité contre lui. Déclaré ou non reconnu, l’échec est évident.
(25)Les Nouvelles Littéraires, entretien avec Claude Cézan, 24 janvier 1972
(26)France-Soir, 3 février 1972
(27)Avant-Scène N° 542.
(28) Ionesco , Giovanni Lista Ed. H.Veyrier, repris dans l’édition de la Pléaïde
(29) Libération , 2 mars 1983
(30) La présence de Jean Carmet dans le rôle principal est une concession de Ionesco, il aurait préférer faire engager Michel Bouquet
(31) La Quinzaine Littéraire Monique Le Roux, 1er avril 1984
(32)N.R.F. Jean-Yves Guérin, reprise dans l’édition de la Pléaïde
8. L’Inexorable défaite
Fin 1984, les mauvais jours commencent. La maladie fait son apparition. Après un coma diabétique de deux jours, les médecins prescrivent un régime sévère. Ionesco devra dire adieu aux longues pauses à la Coupole, arrosées du verre de trop, mais le fera-t-il ? Eugène sent venir les affres de la vieillesse, son corps va se déglinguer lentement, il le sait et se sent trahi. Mais pour le monde il fait encore belle figure. On continue à l’inviter. Ses pièces sont reprises avec succès. Il expose de plus en plus souvent à Berlin, à Bologne, à Fribourg, à Zurich, à Saint-Gall. Un peu plus tard, le Grand Palais et le Centre Pompidou organisent un salon des œuvres du peintre Ionesco. L’auteur donne toujours des conférences. Défenseur des grandes causes, il se rend à Berne lors d’un débat en faveur des Droits de l’homme. Il est le lauréat du Prix international d’Art contemporain de Monte Carlo, il reçoit le Prix T.S Eliot Ingersoll à Chicago, la médaille de la Ville de Paris.
En février 1987, est organisée une grande fête pour célébrer le 30ème anniversaire de la reprise au théâtre de la Huchette de La Cantatrice chauve et de La Leçon.
Néanmoins il ne cesse d’être inquiet, et se sent piégé : « … L’obsession de ma « gloire » menacée, les interviews que je dois donner, les articles que je dois écrire pour me défendre, pour empêcher que l’on me tue, littérairement parlant, toutes ces choses arrivant toutes à la fois !. ( … ) et puis la précarité de l’existence de Rodica et de moi-même, car chaque jour qui passe nous devenons de plus en plus vieux et encore tant de choses à faire !( … ) Quelle dégringolade, quelle dégringolade.. » (33) Et son angoisse se précise « Parfois, pour m’endormir, je songe, je fais le compte de toute ma fortune : maisons, réserves dans les banques, argent qui doit arriver pour m’assurer ( c’est-à-dire pour me rassurer) que si je ne reçois plus un sou, ce qui n’est pas possible, nous n’allons pas, Marie-France, Rodica et moi, mourir de faim ! ( … ) J’ai au moins quand même une petite pension de la Société des auteurs ». (34)
À croire que cet homme célébré dans le monde entier ne se sent guère plus à l’abri des tracas matériels que ne le sont ses pairs impécunieux, ceux dont on ne joue les pièces de temps en temps avec, parfois, un insuccès notoire. Ionesco retrouve ces malheureux confrères au domaine du Rondon, ce petit château du XVIIème siècle sur les bords de la Loire, propriété de la SACD mis à la disposition des auteurs dramatiques en mal de villégiature.. « …seuls les auteurs pauvres viennent ici. Je ne suis pas un auteur pauvre, mais j’ai eu des raisons – pas de service à la maison de campagne, les gardiens sont en vacances et la maison à trois niveaux ne peut plus être entretenue par Rodica, la pauvre, ici elle vit confortablement, presque dans l’euphorie, pas de soucis, car le service est impeccable ». (35)
Tels de petits personnages de Sempé se promenant dans le parc du Rondon, bras dessus bras dessous, s’arrêtant pour respirer le parfum d’une fleur, ou interrogeant le ciel sur le temps qui s’annonce, Eugène et Rodica marquent la pose d’une sérénité rare et bienveillante.
Le 22 février 1989, Ionesco est hospitalisé, il donne délégation à sa fille pour lire à Bruxelles devant la Commission politique européenne un réquisitoire contre le régime roumain de Ceaucescu.
Le 7 mai, au cours de la 3ème Nuit des Molières, Ionesco, convalescent, reçoit un trophée d’Honneur de la main de son cher complice Jacques Mauclair : « Nous tous, nous vous saluons comme le plus illustre des nôtres et très affectueusement nous vous disons merci ». La salle est debout, partagée entre l’enthousiasme et l’émotion, on applaudit à tout rompre pendant de longues minutes. Dans sa loge d’honneur, Ionesco se lève péniblement, il souffre de toute sa carcasse, il s’incline en esquissant un sourire. Au soir de cette cérémonie, le monde entier sait que Ionesco est très malade.
Pendant les trois années qui lui resteront à vivre, Ionesco se livrera tout entier sinon à recherche de la connaissance divine, du moins à l’espérance en Dieu. La mort effrayante qu’il avait tant appréhendée lui fut douce, elle arriva en catimini. Le 28 mars 1994 Eugène entouré des deux seuls amours de sa vie, Rodica et Marie-France, s’éteignit doucement comme un cierge.
(33) La Quête intermittente Eugène Ionesco, édition Gallimard 1987
(34) idem
(35) La Quête intermittente Eugène Ionesco, édition Gallimard 1987
9. Quelques pièces
JACQUES ou LA SOUMISSION, comédie naturaliste
Analyse
Jacques est un jeune homme bien élevé mais… il n’aime pas les pommes de terre au lard. Cela désespère les membres de sa famille qui le voudraient semblables à eux-mêmes. À force de supplications, Jacques finit par obéir et admettre qu’« il aime les pommes de terre aux lard ». Ce sera la dernière fois qu’il cèdera. On lui présente une fiancée, elle n’a que deux nez, Jacques en exige une avec au moins trois nez. Alors apparaît une sœur de l’ex-fiancée qui non seulement a trois nez, mais également neuf doigts.
Critiques
« Avec une bien belle et amusante rigueur, Eugène Ionesco demeure lui-même. …Ni les thuriféraires exaltés qui tentent de pousser Ionesco vers les abstractions et les systématisations d’une « philosophie du langage », ni les matraqueurs brutaux qui se jettent sur lui dès qu’il paraît et cognent avec rage n’ont pu détourner Ionesco de son dessein qui est de faire rire les spectateurs au contact de leur propre vide et de leur ultime loufoquerie ».
Le Figaro Littéraire Jacques Lemarchand 22 octobre 1955
« Qu’il me soit permis de saluer une fois de plus le talent, l’originalité, la fécondité d’Eugène Ionesco, démolisseur d’un certain théâtre que je méprise autant que lui, sans me sentir condamné à le tenir pour l’unique architecte de celui que j’attends avec une impatience égale à la sienne ».
France-Soir Marc Blanquet 18 octobre 1955
« …Je crois que M. Ionesco est un plaisantin ( je ne veux pas croire le contraire ce serait trop triste), un mystificateur donc, un fumiste, je ne suis pas contre, il en faut . Hélas ! rien de plus lugubre qu’un fumiste démodé ! L’absurdité, la déraison, l’insanité, le non-sens, l’ineptie érigée en dogme, la contrepèterie, les jeux de mots, les allitérations, la feinte folie, l’extravagance fabriquée, les vocables inventés, le saugrenu à tout prix, les échafaudages branlants de répliques insolites péniblement élaborées le monsieur qui se chatouille pour nous faire rire et celui qui s’est donné pour mission d’épater le bourgeois…nous connaissons cela depuis très, très, très longtemps ». Jean-Jacques Gauthier Le Figaro 17 octobre 1955
RHINOCÉROS
Analyse
Dans une petite ville imaginaire et sans histoire, un rhinocéros, venu de nulle part, écrase un chat sur la place publique. Les habitants en sont bouleversés. Bientôt les choses se précipitent et le mystère s’épaissit. Mme Bœuf , une dame très respectable, sort de chez elle affolée, son mari vient de disparaître et à sa place un rhinocéros monte l’escalier. On allume le poste de radio, des barrissements assourdissants remplacent la voix des speakers. On appelle les pompiers, ils sont débordés ; des rhinocéros déferlent de toutes parts. Le jeune Bérenger se réfugie chez son ami Jean, couché avec une bronchite, Le malade, au courant de rien, se sent fatigué et de plus en plus mal ; à son tour il est atteint par la « rhinocérite » dont les causes sont le fanatisme et l’intolérance. La petite ville tout entière est la proie de la contagion, sauf Bérenger qui reste seul contre tous les autres : « Hélas, je suis un monstre, hélas je ne deviendrai jamais un rhinocéros. …Contre tout le monde je me défendrai, contre tout le monde, je me défendrai ! Je suis le dernier homme, je le resterai jusqu’au bout ! Je ne capitulerai pas !
Critiques
« Rhinocèros dit les choses si limpidement – encore que ce soit sous forme d’allégorie – qu’il faudrait vraiment s’avouer bien borné pour ne pas les entendre. Et il me paraît, les ayant entendues qu‘elles ne peuvent qu’intéresser la sensibilité ». Le Figaro Littéraire. Jacques Lemarchand 30 janvier 1960
« Rhinocéros est une œuvre tout à fait claire, d’un symbolisme limpide d’autant plus forte qu’elle est plus accessible et d’une portée d’autant plus grande que tous peuvent en saisir la signification ».
La Croix. Jean Vigneron février 1960
« Ionesco a beaucoup d’humour et autant de bonne volonté. Contrairement aux apparences, il n’a jamais cherché à déplaire. Au contraire. Et pour remercier ces messieurs-dames ( le beau monde officiel d’un théâtre de pourpre et d’or ) de l’avoir arraché aux théâtres-caves, il fait semblant de se prendre au sérieux ; il fait dans l’humanisme intégral, dans les bons sentiments et les grandes idées ».
Esprit. Alfred Simon, n° 283. avril 1960
LE ROI SE MEURT
Analyse
Le vieux Roi Bérenger Ier se croit à l’apogée de son règne. C’est tout fier qu’il traverse la salle du trône suivi de sa première épouse, la reine Marguerite, de sa seconde épouse, la reine Marie, et de la femme de ménage, Juliette et, majestueux, passe dans son cabinet de travail. En l’absence du souverain Monsieur le Médecin du Roi révèle la gravité de l’état de son illustre patient condamné à mourir prochainement. Bientôt le malade apprendra la vérité, il la refuse, lui le roi tout puissant n’a qu’un mot à dire pour éloigner la Mort. Mais elle est inéluctable pour tous…
Critiques
« J’ai entendu dire qu’il n’était pas difficile d’émouvoir les gens en leur parlant de leur mort. Quelle erreur profonde ! Rien n’est plus difficile, au contraire et plein de périls. Parce que les gens ont horreur qu’on leur en parle et n’admettent aisément au théâtre, et souvent avec admiration et émotion, que la mort des autres, ainsi qu’ils le font à la ville. Mais les contraindre à regarder, sans qu’ils se fâchent, leur propre mort, exige cette sensibilité, cette réflexion sur le sujet, cette constance justesse de ton dont témoigne chaque instant du Roi se meurt et naturellement, cet humour inimitable qui se traduit par des bizarres alliances de mots, par le saugrenu d’une réflexion, faite comme en passant, et qui met la salle en joie pour d’excellentes raisons. Jamais Ionesco n’avait dosé le grave et l’incongru, le féroce et l’innocent ».
Le Figaro Littéraire. Jacques Lemarchand 3 janvier 1963
« Ce sentiment de l’absurdité de la parole et de la vie qui est au centre de tout le théâtre de M . Ionesco, de tout son comique où prend-il le plus de force si ce n’est en face de l’absurdité de la mort ? Il se pourrait donc que M . Ionesco, loin de se renier ait trouvé ce qu’il a de plus rare pour un auteur dramatique, écrire autre chose tout en restant lui-même ».
L’Express Robert Kanters, janvier 1963
« D’où vient que j’aie pu ne pas ressentir les multiples émotions que devraient provoquer ces évocations de l’agonie d’un homme? Outre le manque d’originalité profonde de cette réflexion sur la mort ( j’entends que cela n’apporte pas grand-chose sur le plan même des idées qui sont le plus souvent des idées reçues, voire des lieux communs) il est bien certain que l’auteur n’est pas parvenu, en dépit d’un effort véritable, à créer des personnages suffisamment vrais, placés dans une situation claire et dramatiquement satisfaisante , pour que leur destin puisse concerner le spectateur ».
Les Lettres Françaises , Claude Olivier, janvier 1963
« Certes, il est émouvant de voir Ionesco regarder la mort sur la scène comme il passe son temps à le faire dans la vie. Mais ce roi allégorique en diable est un peu lourd de métaphores : il est l’Homme, il est Dieu, il est l’Homme-Dieu, il est le Christ, il est Eugène Ionesco, cela fait beaucoup… On regrette Bossuet, on regrette Shakespeare, on pense à Maeterlinck … Et on regrette Les Chaises… ».
Arts Gilles Sandier 21 décembre 1968 lors de la reprise