ou une véritable vocation
1. Un père compréhensif
2. L’École de la rue Blanche
3. La Naissance d’un comédien
4. Découverte du théâtre
5. Les Débuts d’un auteur dramatique
6. Le Triomphe
7. La Coqueluche du Tout-Paris
8. Le Metteur en scène
9. Le Réalisateur d’un film
10. Quelques pièces
11. Oeuvres dramatiques
12. Extrait
Le monde du spectacle fut la patrie de Jean Poiret, son sacerdoce. Du début de son adolescence à son lit de mort, il ne vécut que grâce à lui. Il lui accorda toute sa force, toute son intelligence, toutes ses inspirations, toutes ses émotions, toute son imagination, toutes ses angoisses, toutes ses joies.
Jean Poiret fut et restera l’homme de scène par excellence.
1.Un père compréhensif
Le 17 août 1926, naquit, rue de la Tombe Issoire, l’unique enfant d’un père ouvrier verrier et d’une mère aide-comptable. Le petit garçon fut déclaré, à la mairie du XIVème arrondissement, sous le nom de Jean-Guillaume Poiré.
Habitant Villejuif, la famille était modeste et l’enfant sage, discret, obéissant et rêveur. Après avoir assisté pour la première fois à une représentation du Châtelet, où triomphait le célèbre André Baugé dans Nina rosa, le jeune garçon découvrit qu’il existait un autre monde que le sien, un monde merveilleux, imaginaire, un monde qui devait, à n’en pas douter, devenir le sien. Il en informa son père. Ce denier ne faisait pas partie de ceux qui, sévères, répondaient à leur progéniture : « Passe d’abord ton bachot… On en reparlera après ! ». Le désir de Jean passait avant toutes ses propres ambitions concernant l’avenir de son fils. Il savait désormais que son enfant ne serait jamais avocat, médecin, banquier, architecte… Il s’y résigna. Il accepta que l’adolescent quitte l’école et le conduisit, lui-même, passer une audition au théâtre de l’Atelier.
Ce fut la comédienne Madeleine Geoffroy, qui les reçut et écouta Jean lui réciter la scène d’Alceste face à Philinte dans le Misanthrope ; à quatorze ans, c’était une gageure, aussi quand il eut fini, s’entendit-il dire par son interlocutrice : « Jeune homme vous feriez mieux de commencer par le commencement ! » Cela voulait dire quoi ? Que pour être comédien, il fallait étudier.
2. L’École de la rue Blanche
Naïvement, sans aucun apprentissage, Jean se présenta au concours d’entrée du Conservatoire d’Art dramatique, dans une scène d’Angelo, tyran de Padou de Victor Hugo. Naturellement, il échoua. Sans se décourager, Monsieur Poiré rechercha une autre école pour son fils et découvrit un nouveau centre dramatique qui venait d’ouvrir à l’intention d’apprentis comédiens, metteurs en scènes, techniciens ou décorateurs. Jean n’eut de cesse de s’y inscrire en novembre 1941. Les professeurs s’appelaient Jean Le Goff, pensionnaire de la Comédie Française, Julien Bertheau et Pierre Dux, tous deux sociétaires de l’illustre maison. Jean commença par étudier les rôles de raisonneurs, alors qu’à son jeune âge, il aurait dû s’attaquer aux amoureux comme Fortunio du Chandelier d’Alfred de Musset.
Néanmoins, Jean était heureux au point d’avoir oublié que la France vivait en pleine Occupation. Pour la première fois, il tomba amoureux. L’élue de son cœur, Loleh Bellon, était une élève du centre comme lui. Son meilleur ami, Paul-Emile Deiber, futur sociétaire du Théâtre Français, partageait avec lui l’amour de la musique classique.
Avide d’apprendre, Jean lisait beaucoup. Son auteur préféré était Shakespeare et il rêvait de travailler le rôle du traître Iago, dans la pièce Othello. Son professeur Julien Bertheau le trouvait : « très gentil, un peu timide, très discret. Il regardait la vie et écoutait beaucoup (…) Je lui disais : « Tu sais, Jean, mon sentiment – je peux me tromper, est que tu feras rire tes contemporains. Il me répondait : Je ne veux pas, ça n’est pas mon truc. Mon truc c’est de jouer la tragédie… ».
Après avoir encore échoué au concours d’entrée au Conservatoire, Jean participa à celui organisé par Jean Meyer, pour les seuls élèves de la rue Blanche. Parmi les membres du jury, Jean retint l’attention d’Henri Varna, directeur du théâtre Mogador. Ce dernier lui proposa de l’engager dans son prochain spectacle : Madame Sans Gêne. L’apprenti comédien était ravi. En fait de rôle, il s’agissait de celui d’un jeune tambour, surnommé : Vinaigre qui n’apparaissait que pendant le prologue, c’est à dire trois minutes. Au moment de signer son premier contrat, Jean Poiré décida d’ajouter un T à la fin de son nom. Cela lui paraissait ainsi plus artiste et sans équivoque.
Après trois ans d’études et deux nouveaux échecs au Conservatoire, Jean Poiret quitta le Centre de la rue Blanche… alors que Michel Serrault y entrait.
Sans emploi, Jean devait trouver un engagement et ce n’était pas facile. Il s’était fait beaucoup d’amis au Centre et comptait sur eux. Un ancien répétiteur de la rue Blanche, Robert Dhéry, en faisait partie. L’Armistice signée, le public ne demandait qu’à se distraire et Robert Dhéry ne souhaitait que mettre en scène des spectacles amusants, sinon loufoques. René Dorin, directeur du cabaret Les Deux Ânes, lui proposa la mise en scène d’une nouvelle revue : On parle onglet. (1) Pour ce faire, Dhéry songea à recruter quelques-uns de ses anciens élèves dont Jean Poiret. Trop heureux d’avoir décroché enfin un nouveau contrat, Jean accepta avec joie. Le futur tragédien s’était transformé en un artiste comique… en fait sa véritable vocation. Plus tard, il le reconnaîtra : « Ce que j’acquis dans ces revues de chansonniers, c’est une liberté dans le jeu, c’est savoir m’abandonner à la fantaisie et la faire porter sur le spectateur, alors qu’à l’école nous étions normalement soumis à certaines entraves » .
Bien que la guerre fût terminée, le service militaire subsistait. Impossible de s’y soustraire… Une année de perdue…
3. La Naissance d’un comédien
Sans emploi, Jean devait trouver un engagement et ce n’était pas facile. Il s’était fait beaucoup d’amis au Centre et comptait sur eux. Un ancien répétiteur de la rue Blanche, Robert Dhéry, en faisait partie. L’Armistice signée, le public ne demandait qu’à se distraire et Robert Dhéry ne souhaitait que mettre en scène des spectacles amusants, sinon loufoques. René Dorin, directeur du cabaret Les Deux Ânes, lui proposa la mise en scène d’une nouvelle revue : On parle onglet. (1) Pour ce faire, Dhéry songea à recruter quelques-uns de ses anciens élèves dont Jean Poiret. Trop heureux d’avoir décroché enfin un nouveau contrat, Jean accepta avec joie. Le futur tragédien s’était transformé en un artiste comique… en fait sa véritable vocation. Plus tard, il le reconnaîtra : « Ce que j’acquis dans ces revues de chansonniers, c’est une liberté dans le jeu, c’est savoir m’abandonner à la fantaisie et la faire porter sur le spectateur, alors qu’à l’école nous étions normalement soumis à certaines entraves » .
Bien que la guerre fût terminée, le service militaire subsistait. Impossible de s’y soustraire… Une année de perdue…
Libéré de ses obligations militaires, Jean s’en retourna dare-dare aux Deux Ânes. René Dorin se proposait alors d’afficher un nouveau spectacle. Il faisait passer des auditions. Deux jeunes comédiens restaient en lice, René Dorin interrogea sa fille, Françoise (dix-neuf ans) elle-même programmée dans la nouvelle revue montée par son père. La jeune fille choisit Jean sur le champ. Ainsi commença entre les deux jeunes gens un flirt qui se transforma, bientôt en grand amour, un mariage s’ensuivit ainsi que la naissance d’une jolie petite Sylvie, qui deviendra, quelques années plus tard, l’assistante de son papa.
Entre temps, Jean avait décroché un petit rôle dans un documentaire cinématographique et avait fait ses débuts à la radio dans une émission quotidienne, très suivie : Malheur aux barbus.
Quatre ans passèrent, Jean travaillait ici et là : cabaret, radio, cinéma. Certes il n’était pas devenu une vedette mais, tout de même, il s’était fait remarquer et avait décroché sa première critique, dans Le Figaro : « Jean Poiret a une autorité souriante très sympathique. ».
(1) Cet hiver là, il faisait très froid…
4. Découverte du théâtre
À vingt-six ans, Jean se sentait devenir un véritable artiste. Il ne lui manquait plus que de « faire du théâtre ». Apprenant que des auditions avaient lieu au Théâtre Sarah Bernhardt, il s’y rendit. En attendant son tour, il avait pris place auprès d’un autre jeune comédien, il se présenta : « Poiret », l‘autre répondit : « Serrault ». Un miracle ! Ces deux-là s’étaient, sur l’instant, découverts, ils ne se sépareront plus jamais, leurs carrières seront jumelles. Ils avaient la même tournure d’esprit, le même sens de la répartie, une force comique identique et impayable. Ils deviendront les célèbres duettistes : Poiret et Serrault.
« On ne pouvait faire plus dissemblables, écrira Serrault, (1) Jean avait les traits fins, l’allure racée. On l’aurait dit sorti d’une tribu d’aristocrates. Moi, je ressemblais à un paysan qui serait devenu fonctionnaire, avec ma bouille ronde, mes yeux en billes de loto, ma moustache et mes cheveux charbonneux ! « (2)
Il fallut peu de temps pour que les deux compères décident de travailler ensemble. Au cours d’une longue conversation sans queue ni tête, ils improvisèrent un numéro qu’ensuite Jean mit en forme. Ils se présentèrent à la direction du Tabou, cabaret le plus à la mode de l’époque. Après une période d’essai, ils furent engagés le 11 janvier 1953 pour une quinzaine de représentations. Leur numéro se composait d’un sketch racontant les supposées aventures d’un acteur américain : Jerry Scott.
Jean Villard (3), directeur du cabaret Chez Gilles, toujours à l’affût de nouvelles vedettes, se déplaça accompagné du poète Raymond Queneau. Ils furent enchantés. Engagé, le duo débuta le 23 janvier au cabaret de l’avenue de l’Opéra. Le texte du Tabou fut révisé et s’intitula dorénavant : Le Retour de Jerry Scott. Un succès à guichet fermé ! La comédienne Micheline Dax, inscrite au même programme, déclara « Ils étaient tellement drôles, tellement inventifs qu’il était impossible de ne pas rire en les écoutant (…) En dépit de leur jeune âge, ils étaient déjà de formidables acteurs ». Enthousiaste, le critique de l’hebdomadaire Carrefour écrivit dans son journal : « Ce sont vingt minutes de rire ininterrompu pour le spectateur et c’est joué à la perfection ! On reparlera de Jean Poiret et Michel Serrault ».
Heureux, mais néanmoins méfiants, les deux amis ne pouvaient s’empêcher de craindre que leur succès ne soit qu’un feu de paille, il leur fallait trouver du travail ailleurs. Jean accepta un petit rôle dans la version cinématographique d’une adaptation des Trois mousquetaires et Michel Serrault se fit engager par Robert Dhéry dans le spectacle comique : Du gu du, au théâtre La Bruyère.
Ainsi en fut-il pendant une dizaine d’années… Plus une heure de perdue : les journées, Jean les passait dans les studios de cinéma, de radio ou de télévision . Les soirées, les duettistes se retrouvaient à vingt-trois heures Chez Gilles ou aux Deux Ânes, à La Tête de l’art, à La Tomate ou autre cabaret.
De vingt heures à vingt-trois heures, Jean pouvait accepter de jouer dans une pièce. Ainsi fut-il programmé en 1955 dans L’Ami de famille de Jean Sommet au théâtre Caumartin en 1958, dans Monsieur Mazure de Claude Magnier au Théâtre Michel, et enfin dans La Coquine d’André Roussin au Théâtre du Palais Royal.
(1) Philippe Durant Jean Poiret éditions First 2015
(2) Michel Serrault Michel Serrault, vous avez dit Serrault ? éditions Florent Massot Présente 2001
(3) Ne pas confondre avec Jean Vilar, directeur du Théâtre National Populaire
5. Les Débuts d’un auteur dramatique
Interpréter un rôle dans les comédies des autres, comme dans Fleur de Cactus de Barillet et Grédy, c’était certes très jouissif, mais pourquoi ne pas jouer dans ses propres œuvres ? Depuis quelque temps, Jean sentait monter en lui un besoin intensif de devenir un auteur dramatique. Il attendit une occasion pour se mettre à l’ouvrage, tout en continuant de signer de nouveaux contrats au cinéma et à la radio. Il ne fut pas déçu : le spectacle du théâtre de la Michodière, Gog et Magog, adapté de l’anglais par Gabriel Arout était un triomphe. Pour fêter la 500ème représentation, le metteur en scène François Périer décida d’organiser une fête et proposa à Jean Poiret et Michel Serrault de se produire dans un numéro de leur façon. Les invités furent morts de rire et l’un d’eux, André Puglia, directeur du théâtre Fontaine demanda aux deux compères de lui concocter un spectacle. La proposition tombait à pic et c’est ainsi que Jean Poiret, en collaboration avec son alter ego, écrivit sa première pièce Sacré Léonard. Lors d’un interview, Jean Poiret déclara : « C’est l’histoire d’une troupe de comédiens engagée dans un spectacle qui ne marche pas. Congédiés par leur directeur, ils décident de continuer à assurer les représentations gratuitement et à leurs frais… ». (1)
En scène, Jean, irrésistible, faisait l’effet d’une bombe mais dans l’intimité, il était mort de trac. C’était un angoissé. Et si le spectacle devait être un échec ?.. Il eut bien tort, la pièce affichée le 12 janvier 1962 fut représentée plus de quatre cents fois, à guichet fermé.
Tandis que Jean commençait une carrière d’auteur reconnu et apprécié, son épouse Françoise se préparait, elle aussi, à devenir un auteur dramatique célèbre. (2) Bien qu’amoureux du théâtre, mais sans proposition d’aucun directeur, Jean Poiret se laissa distribuer dans une dizaine de films dont : Les Vierges, Un drôle de paroissien et La Grande frousse, réalisés par Jean-Pierre Mocky qui deviendra un ami.
Bientôt, Jean Poiret, accompagné de Michel Serrault, eut le plaisir de signer un nouveau contrat au théâtre Fontaine pour leur deuxième pièce : L’Opération Lagrelèche qui débuta le 17 décembre 1966. Il s’agissait de l’histoire d’une vedette de cinéma, Gordon Spears – rôle tenu par Michel Serrault – qui mourra, subitement, après avoir trop bu. Alors, le réalisateur du film rechercha, dans la famille du défunt, quelqu’un qui puisse le remplacer. L’affaire n’était pas simple. Jean fourmillait d’idées et le spectacle, dans son intégralité, devait durer quatre heures. Il fallait donc en couper une partie, ce fut fait avec hésitation et difficulté. Mais cela en valut la peine. Les critiques furent enthousiastes : « Je vois bien que je n‘ai plus d’esprit critique devant Poiret et Serrault. Il suffit qu’ils apparaissent pour que je m’amuse. Ici, j’ai eu trois fous rires. J’entends de ces fous rires qu’on a à 14 ans et qu’on ne peut arrêter » écrivit Jean Dutourd dans Le Figaro. Une fois encore le public se précipita au Théâtre Fontaine. Jean et Michel devenaient un peu plus chaque jour : Les Rois de Paris.
Dans le même temps, une pièce intitulée : Comme au théâtre fut fort applaudie. Elle était signée d’un auteur inconnu Frédéric Renaud. En fait il s’agissait de Françoise Dorin qui avait choisi ce pseudonyme pour entamer sa brillante carrière.
Alors que les deux époux triomphaient chacun de son côté, ils s’étaient quittés depuis plusieurs mois. Toutefois, ils restèrent de parfaits amis et ne divorcèrent qu’en décembre 1977. Un nouvel amour les consola bientôt tous les deux, lui avec Caroline Cellier, elle avec Jean Piat.
Pendant l’été 1969, Jean et Michel ne se quittèrent pas. Ils avaient décidé d’écrire un spectacle caricatural, qui tiendrait à la fois du cabaret et de la pièce de théâtre. Ce furent : Les Placards qui s’intituleront finalement : Les Grosses têtes. Il s’agissait pour les auteurs de ridiculiser le théâtre brechtien, la politique, les événements de juin 1968, etc.. Comme le déclara Jean Poiret : « Tous les problèmes actuels seront mis en question dans notre pièce… ».
Jean et Michel auraient aimé défendre leur œuvre en faisant partie de sa distribution. Malheureusement, Marie Bell, directrice du Théâtre du Gymnase, qui les avait engagés tous deux dans un spectacle triomphal : Le Vison voyageur de l’anglais Ray Cooney adapté par Jean-Loup Dabadie, refusa de leur rendre leur liberté .
Contrairement à l’espoir des auteurs, Les Grosses Têtes, affichées au Théâtre de l’Athénée, ne furent pas un succès. On reprochait au spectacle de n’être qu’une soirée de cabaret. Si Jean Poiret voulait se manifester comme un véritable dramaturge, il lui fallait changer de style.
La leçon porta ses fruits. Une courte liaison avec la comédienne Nicole Courcel inspira à Jean l’écriture de sa nouvelle pièce : Douce Amère, dans laquelle il offrit le rôle principal à la jeune femme. Un dernier cadeau !!!
Michel Serrault, cette fois-ci, ne faisait pas partie du projet.
Douce Amère est ma première pièce structurée, qui n’est pas un spectacle comme ceux que nous avons eu l’habitude d’écrire avec Michel Serrault jusqu’à présent. Il y a un stade de son existence où l’on a envie d’écrire des choses moins burlesques. On a envie d’approfondir un petit peu parce que l’on prend de l’âge » (3) dixit son auteur. La pièce n’obtint pas le succès attendu. Le spectateur n’y trouvait pas son compte. Pour lui, le théâtre de Jean Poiret se devait d’être original, drôle, festif, plus prêt d’un vaudeville que d’une comédie tendre et mélancolique comme Douce Amère. De leur côté, les critiques se montrèrent peu enthousiastes. Pour Bertrand Poirot-Delpech,dans Le Monde : « Le dialogue est incroyablement verbeux, empesé, ampoulé… » Jean-Jacques Gautier dans Le Figaro, donnait le conseil à l’auteur de laisser tomber « ces trop jolies choses qui ne sont que fades ». Quant à Georges Lerminier dans Le Parisien, il fut encore plus sévère, pour lui, la pièce n’était qu’une « longue séance de dressage où l’auteur se regarde avec complaisance ».
Grâce à l’exceptionnelle réputation de Jean Poiret, Douce Amère poursuivit sa carrière pendant presque six mois, devant, hélas, des salles à moitié pleines…
Un malheur n’arrivant jamais seul, une malencontreuse chute, immobilisa Jean. Le pied plâtré, il eut alors tout son temps pour réfléchir au sens qu’il devrait donner à ses prochaines œuvres. Les spectateurs attendaient de lui des pièces distrayantes… eh bien il allait leur en donner !
Ce fut ainsi que le 10 juin 1962 fut créé au théâtre du Palais Royal Il était une fois l’opérette. Depuis son adolescence, Jean Poiret était passionné de musique légère et il prit donc un grand plaisir à composer un spectacle au cours duquel étaient interprétés les airs les plus célèbres de : Véronique de Messager, Ciboulette de Raynaldo Hahn, La Mascotte d‘Edmond Audran, La Fille de Madame Angot de Charles Lecoq, La Belle Hélène d’Offenbach…De courts dialogues, signés Jean Poiret, réunissaient les mélodies les unes aux autres.
Pour donner plus d’éclat aux représentations, Jean-Michel Rouzière, directeur du théâtre, n’hésita pas à engager les célèbres cantatrices Mady Mesplé et Jane Rhodes.
Cette fois, le succès fut total et le spectacle affiché pendant cent quatre-vingts représentations. Elles ne furent interrompues que par un contrat signé, antérieurement, entre le théâtre du Palais-Royal et Louis de Funès.
Il était une fois l’opérette partit alors pour une longue tournée en France et au Canada confirmant ainsi son exceptionnelle réussite. De retour à Paris, le spectacle fut repris à Bobino, music-hall de la rue de la Gaîté.
Jean était très heureux. Certes, il avait retrouvé l’admiration de son public, mais ce n’était pas la seule raison de son bonheur. En 1965, lors du tournage de La Tête du client, il avait fait la connaissance d’une starlette, de dix-neuf ans sa cadette, Caroline Cellier, née en 1945. Il ne l’avait pas oubliée et ils ne s’étaient jamais perdus de vue. Tandis qu’elle débutait dans la carrière de comédienne et obtenait les Prix Gérard Philipe et Suzanne-Bianchetti, (4) Jean lui faisait la cour, une cour discrète, romantique. Elle paraissait heureuse, elle aussi, et puis… et puis… et puis… arriva le jour où l’amour fut le plus fort et, en dépit de la différence d’âge, les amoureux devinrent des amants qui régularisèrent leur union quelques années plus tard.
(1) Jean Durant Jean Poiret éditions First Document 2015
(2) Premières pièces de Françoise Dorin : 1957 : La Facture, 1958 : Un sale égoïste, 1969 : Les Bonhommes… etc…
(3) Philippe Durant Jean Poiret éditions First Document 2015
(4) Prix Gérard Philipe ou de la Ville de Paris attribué au meilleur comédien de l’année. Prix Suzanne Bianchetti, prix accordé à la jeune actrice la plus prometteuse.
6. Le Triomphe
Il était venu le temps où Jean devait connaître le GRAND SUCCÈS, l’oeuvre dont parlerait le Tout Paris, ce fut La Cage aux folles. (1) Le duo Poiret-Serrault s’était de nouveau réuni et Jean rêvait d’écrire une comédie dont les rôles principaux leur seraient réservés .
Le sujet qui lui vint en tête semblait bien scabreux. En effet l’homosexualité était quelque peu tabou et en faire le thème d’une pièce comique et parfois sentimentale, se montrait très risqué. Néanmoins, il se jeta à l’eau. Lors d’une interview, il s’expliqua : « Les ressorts du comique sont en général des personnages ordinaires dans des situations cocasses. J’ai pris le contre-pied ! ».
À aucun moment de la pièce, l’auteur ne se moquait du couple homosexuel ; au contraire, il chercha à le rendre sympathique et naturel face à des situations imprévues et parfois hilarantes. Néanmoins, Jean, qui jouait l’un des deux personnages était si inquiet qu’il n’installa pas confortablement sa loge ; pas de tableaux aux murs, pas de meubles inutiles. Quant à Jean-Michel Rouzière (2) le directeur du Palais Royal, il s’angoissait à tel point qu’il prévoyait déjà de remplacer La Cage aux folles par quelques représentations du Misanthrope. Il avait même établi la distribution : Jean Poiret jouerai Philinthe, Michel Serrault Oronte, François Périer Alceste et Caroline Cellier Célimène.
Avec un immense plaisir il dut renoncer très vite à ce projet. La Cage aux folles fut le TRIOMPHE des triomphes. Le 1er février 1973 restera une date historique dans l’histoire du Théâtre.
Jean-Michel Rouzière reconnut qu’ «Au départ, la pièce a connu le public traditionnel du théâtre. Puis, il a débordé sur celui de province. Nous avons des demandes de petites bourgades organisant un week-end à Paris dont La Cage aux folles sera «la sortie». Par ailleurs, il reste difficile d’obtenir des places et bien que certains aient réussi à revenir deux fois avec des amis de passage, d’autres attendent encore ».(3)
La comédie tint la scène pendant plus de cinq ans, ce qui représente environ 1.500 représentations. Lors de l’une d’entre elles, une spectatrice fut prise d’un tel fou rire inextinguible que, prise d’un malaise, elle mourut dans la salle.
En 1978, une version cinématographique franco-italienne de La Cage aux folles fut tournée par Edouard Molinaro avec Ugo Togniazzi dans le rôle interprété par Jean Poiret.
De 1980 à 1998, La Cage aux folles fut le film étranger le plus programmé aux Etats-Unis.
Et comble de bonheur, le 19 novembre 1978, Jean et Caroline eurent la joie de voir naître leur petit garçon Nicolas. « Bon sang ne saurait mentir » dit le proverbe. Nicolas deviendra comédien comme ses parents.
(1) Cf Quelques pièces
(2) Jean-Michel Rouzière était à la fois directeur du Théâtre du Palais Royal et des Variétés
(3) Philippe Durant Jean Poiret éditions First document 2015
7. La Coqueluche du Tout-Paris
Alors qu’on fêtait la 400ème représentation de La Cage aux Folles, son auteur eut la fierté de recevoir une proposition du Théâtre Français. La salle Richelieu devait impérativement être rénovée. L’administrateur Pierre Dux décida que pendant les travaux, les représentations de la Comédie Française auraient lieu désormais au théâtre Marigny. Pierre Dux avait suivi la carrière de son ancien élève de l’école de la rue Blanche et s’était réjoui de son exceptionnelle réussite. Il lui demanda de concevoir un spectacle en avant-première des représentations affichées désormais au Marigny.
L’Impromptu du Marigny fut le titre choisi par les membres du Comité.
Alors que bien souvent, les directeurs de théâtres jugeaient les distributions de Jean Poiret trop fournies, cette fois-ci, il lui fallait écrire un rôle pour chacun des membres de la troupe, environ soixante comédiens. Les grandes pièces classiques servaient de base aux différents numéros du spectacle. On pouvait applaudir Rodrigue jouant de la guitare électrique, imaginer que Phèdre serait montée aux arènes de Lutèce, Cyrano de Bergerac au Théâtre de Poche et Le Misanthrope dans une gare désaffectée. Ce fut le sociétaire Jacques Charron qui se chargea de la mise en scène. Il participait lui-même au spectacle en tant que chanteur « pop ». Il était accompagné alors de deux autres sociétaires, Denise Gence ( 52 ans) et Françoise Seigner (46 ans), toutes deux portant cuissardes et jupettes.
En dépit du succès remporté par ce spectacle, la critique se montra sévèrement choquée. Cela n’empêcha pas le nouveau Président de la République d’assister à l’une des représentations et lorsque Alain Pralon (1) imita François Mitterrand et que Michel Duchaussoy joua de l’accordéon, Giscard d’Estaing se leva pour applaudir. Toute la salle l’imita.
À n’en pas douter, Jean Poiret était devenu plus que jamais l’idole du « Tout-Paris » au point tel que le soir de Noël, une émission radiophonique lui fut consacrée sous le titre : Poiret est à vous.
Face à son exceptionnelle réussite, Jean Poiret était néanmoins inquiet. Ainsi se confia-t-il à un journaliste : « … La feuille de papier dans la journée, la salle de 800 places tous les soirs, c’est angoissant. On pense que ce métier se fait dans la légèreté mais plus j’avance dans la vie, plus je pense que c’est une épreuve sportive (…). Quand je rentre en scène, j’ai le même trac qu’au soir de la Première, car le public est toujours neuf. Imaginez qu’il ne rit pas où je l’attends…Tout à coup, la disgrâce… C’est toujours possible ! »
Ainsi qu’il le déclara, Jean était toujours un passionné de musique légère : « Depuis mes débuts sur une scène, j’ai conçu le théâtre comme un mélange de texte, de musique et de danse. C’est pourquoi j’adore le music-hall et la comédie musicale. Lorsque l’orchestre attaque, je suis heureux… ». (2) Tandis qu’il continuait à jouer tous les soirs dans La Cage aux folles, Jean Poiret se remit au travail l’après-midi. Il s’attaqua à une nouvelle pièce, mélange de dialogues à la fois parlés et chantés. Il avait chargé le musicien Michel Emer d’écrire la partition. L’épouse de ce dernier, Jacqueline Maillan dont Jean Poiret appréciait le talent, l’exubérance, la joie de vivre, la drôlerie, était engagée pour interpréter le rôle principal de Féfé de Broadway – c’était ainsi que Jean Poiret avait intitulé sa nouvelle comédie.
Le sujet de la pièce était relativement simple, il s’agissait d’une célèbre comédienne, directrice de théâtre qui décidait de présenter sur scène une parodie de Phèdre, traduite en comédie musicale.
Le montage fut difficile. Le metteur en scène Pierre Mondy se trouvait face à une œuvre à grand spectacle comprenant dix décors, neuf comédiens et une quinzaine de figurants tous habillés de somptueux costumes. L’auteur Poiret était anxieux et le directeur du théâtre s’inquiétait pour son argent. Après mille et mille corrections dans le texte, de coupures et de changements dans la mise en scène, vint le jour de la première représentation attendu avec angoisse !
Pourquoi tant de crainte ? Féfé de Broadway fut un succès exceptionnel.
Lors des représentations, le public ne cessait de rire et, au baisser du rideau, les saluts des acteurs étaient accueillis par une salve d’applaudissements qui n’en finissait pas. Le théâtre des Variétés afficha le spectacle pendant plus d’une année.
L’auteur pouvait se réjouir ses deux spectacles ; La Cage aux folles et Féfé de Broadway triomphaient ensemble à Paris.
Mais Jean était épuisé physiquement et nerveusement. Il se demandait combien de temps encore il lui serait possible de poursuivre son rôle dans La Cage aux folles. Il demanda alors à Henry Garcin de lui succéder sur la scène du théâtre du Palais Royal.
Victime d’une grave dépression, Jean dut obéir aux ordres de son docteur et prendre pour quelque temps un repos complet. Alors qu’il avait en tête le projet d’une nouvelle comédie, il dut remettre l’écriture à plus tard.
Depuis plusieurs années, en réalité depuis 1973, Jean souhaitait écrire une oeuvre traitant de l’adultère non consommée. En 1979, Jean-Michel Rouzière dont Jean Poiret était l’auteur préféré, lui commanda une pièce qui remplacerait au théâtre du Palais Royal La Cage aux folles affichée dorénavant au théâtre des Variétés. Jean était ravi. Le temps de Joyeuses Pâques (3) avait enfin sonné.
Il y avait tellement pensé qu’il ne lui restait plus qu’à assembler son patchwork d’idées quelque peu autobiographiques : « C’est, disait-il, un aimable quinquagénaire qui veut savoir si son charme agit toujours sur les couches fraîches et féminines de la population ». (4) Le sujet tournait naturellement autour de l’infidélité, thème quelque peu éculé, mais qui sous la plume de Jean Poiret, retrouvait toute sa vitalité festive. D’imbroglio en imbroglio, de mensonges en mensonges, de malentendus en malentendus, le mari, la femme et la maîtresse en perspective s’enfonçaient l’un après l’autre dans des situations inextricables. Caroline Cellier, 35 ans, n’avait plus l’âge de la jeune amoureuse et pas encore celui de l’épouse. On engagea donc Nicole Calfan et Maria Pacôme. Cette dernière déclara en parlant de Jean Poiret quelque temps plus tard, : « En scène ce n’était pas facile de jouer avec lui. C’était une excellente école. Parce que quand on est doué comme l’était Poiret, quand on est adoré comme il l’était du public, il fallait exister à côté de lui »… La pièce, mise en scène une fois encore par Pierre Mondy, fut créée le18 janvier 1980.
Elle eut un tel succès qu’après avoir été jouée plus d’une année au théâtre du Palais Royal, elle fut reprise, après le décès de son auteur en 2000 au théâtre des Variétés et en 2014 au théâtre du Palais Royal. De plus, une version cinématographique fut tournée par Georges Lautner avec Jean-Paul Belmondo dans le rôle principal.
Sylvie, la fille de Jean et son assistante, portait sur son père un jugement quelque peu différent de celui des comédiens : « Dans l’intimité, il n’était pas aussi drôle que confronté à un public. Il donnait sa pleine mesure quand il était avec ses copains. Là, c’était l’homme le plus drôle que j’ai connu . (…) Brillantissime, mais pas dans l’intimité. Comme il était bon comédien, il arrivait à donner le change dès qu’il avait un public, que ce soit à la ville ou sur scène ou à l’écran. Dans la sphère privée, il se maîtrisait nettement moins. L’ironie est toujours présente mais parfois, elle n’était que le reflet de son tempérament ultra-angoissé. En certaines circonstances, il pouvait se montrer volcanique… » (5)
Alors que se poursuivaient les représentations de Joyeuses Pâques, Jean Poiret fut contacté par François Truffaut. Ce dernier s’apprêtait à tourner : Le Dernier métro, film concernant le théâtre pendant l’Occupation. Il proposa à Jean d’interpréter le personnage, double de Sacha Guitry. Bien que pris le soir au théâtre du Palais Royal et ayant promis à son docteur de ne se consacrer qu’à une chose par jour, il lui fut impossible de ne pas accepter. Il n’avait pas oublié qu’en 1957, alors qu’ils n’étaient qu’au début de leur carrière, le « maître » les avait engagés, lui et Michel Serrault, dans son film Assassins et Voleurs. D’autre part, jeune adolescent, il avait connu le temps de l’Occupation et se rappelai le 17 septembre. La sortie du Dernier Metro fut reçue triomphalement et Jean Poiret prit sa part des félicitations.
Revers de la médaille, parfois le soir au théâtre après avoir tourné toute la journée, Jean souffrait de crises de tachycardie. On appelait alors de toute urgence S.O.S médecin afin qu’il puisse subir rapidement un électrocardiogramme.
En 1985, le metteur en scène Bernard Murat souhaitait monter un vaudeville de Georges Feydeau : Tailleur pour dames. La pièce ne durait qu’une heure et nécessitait d’être étoffée. Murat pensa que Jean Poiret serait l’auteur idéal pour donner à la pièce le poids qui lui manquait. Jean se passionna pour ce travail. Tout en s’efforçant de ne pas « faire du Poiret », mais du « à la manière de », il refit quelques scènes, en ajouta d’autres, modernisa les dialogues et allongea ainsi la comédie de trois quarts d’heure.
Les fanatiques de Feydeau crièrent à l’imposture, Bernard Murat était fort déçu. On évita de citer le nom de Jean Poiret sur les affiches. Mais miracle ! au soir de la première représentation, ce fut un brillant succès et le spectacle dura plus d’un an.
(1) Alain Pralon et Michel Duchaussoy, sociétaires de la Comédie Française
(2) Philippe Durant Jean Poiret éditions First document 2015
(3) Cf Quelques pièces
(4) Philippe Durant Jean Poiret éditions First document 2015
(5) Philippe Durant Jean Poiret éditions First document 2015
8. Le Metteur en scène
Auteur, acteur, il ne restait plus qu’à Jean Poiret de monter lui-même la pièce d’un autre dramaturge. Interrogé sur ce nouveau projet, il répondit : « On me proposait depuis longtemps de mettre en scène, mais je ne pouvais m’y résoudre (…). Je m’y suis quand même résolu, parce que je n’ai plus envie pour l’instant de faire du théâtre moi-même et que je ne peux pas non plus m’en passer ». (1)
Poiret se laissa séduire par la pièce de Pierre Etaix, (2) L’Âge de monsieur est avancé.
Il s’agissait d’ un auteur dramatique qui jouait sa pièce au fur et à mesure qu’il l’écrivait, d’où multiples les malentendus avec les personnes qui l’approchaient, dont sa propre femme. Les deux rôles principaux étaient tenus par François Périer et Caroline Cellier. Jean était ravi de diriger son épouse. « Je vois plus la fantaisie de Caroline que les autres metteurs en scène, reconnut-t-il. Nous avons attendu longtemps avant de travailler ensemble, chacun a sa carrière. Mais maintenant j’ai bien l’intention de la montrer différente de ses autre rôles ». (3)
De l’avis des comédiens, ce qui caractérisait leur metteur en scène : « C’était l’extrême précision de ses indications. Il savait ce qu’il voulait, tout cela était très réfléchi (…). Il tenait les comédiens en laisse mais leur laissait la possibilité de créer leurs personnages (…) Sa mise en scène ne tombait pas du tout dans la folie, c’était intense !!! ». (4)
La pièce connut un succès certain et fut affichée toute la saison à la Comédie des Champs-Élysées.
Quelque peu ironique, Jean déclara : « Ainsi je vais pouvoir rester à la maison le soir pendant que ma femme travaillera. Je mettrai mes pantoufles et m’occuperai de notre fils Nicolas, 7 ans. Homme au foyer, voilà un vieux rêve qui va se réaliser ! » (5)
Le rêve se réalisera pour très peu de temps… Certes, Jean Poiret ne jouait plus le soir, mais ses journées étaient fort occupées et n’en finissaient plus.
De 1985 à 1990, Jean se laissera tenter par ses deux metteurs en scène de cinéma préférés : Claude Chabrol pour lequel il tiendra le rôle principal de l’inspecteur Lavardin dans : Le Poulet au vinaigre et Les Dossiers de l’inspecteur Lavardin, films suivis d’une série télévisée ayant pour principal personnage l’indispensable inspecteur.
Sous la conduite de son second cinéaste favori, Jean-Pierre Mocky, Jean tournera dans Le Miraculé en compagnie de Michel Serrault et dans Les Saisons du plaisir.
Six ans passèrent pendant lesquels Jean ne travailla pas pour le théâtre. Il était temps pour lui de s’y remettre. Il écrivit donc une nouvelle pièce au titre énigmatique : Les Clients, dans laquelle Georges, publicitaire très en vogue, très volubile, inquiet de se sentir vieillir, se laissait grugé par son entourage, sa famille, ses amis… Jean s’était réservé le rôle principal.
Bernard Murat le metteur en scène, jugea l’œuvre par la suite : « C’est une pièce très autobiographique. Le thème était de peindre quelqu’un qui n’arrive plus à faire rire les autres, comme un clown fatigué. C’est Jean, en fait. Il était quelqu’un de très angoissé, inquiet sur l’âge qui passe. Il avait peur aussi de ne plus être dans le coup, la peur de vieillir, de ne plus être dans la force de la vie, comme s’il avait peur de mourir. Il s’est pourri la vie tout seul, souvent. Mais en même temps, c’était quelqu’un de tellement gai, d’une telle drôlerie ! » (6)
La première représentation eut lieu le 4 novembre 1986 au théâtre Edouard VII . L’auteur était-il satisfait de son œuvre ? Non ! Un soir, remonté dans sa loge à la fin du spectacle, Jean s’effondra en larmes. Certes Les Clients ne remportèrent pas l’exceptionnel succès des pièces antérieures. Elle fut affichée toutefois jusqu’au 21 juin de l’année suivante.
Jean Poiret n’écrira plus pour la scène. Il se contentera désormais d’accommoder quelques comédies. Ses adaptations étaient en réalité de véritables collaborations. Il lui suffisait de garder le canevas de la pièce et ensuite il le transformait à son goût, coupant par-ci, ajoutant par-là. Il avait un avantage sur les autres auteurs, il était aussi comédien et metteur en scène, il savait ce qui portait sur un public…
Ainsi Jean Poiret s’attaqua à quelques pièces qui le séduisaient. Mises en scène par l’indispensable Pierre Mondy, elles étaient signées pour la plupart, d’auteurs étrangers : le Britannique Ray Cooney : C’est encore mieux l’après-midi et Trois partout, gros succès qui fut joué pendant plus de deux années au théâtre des Variétés avant de partir en tournée. Puis ce fut La Contrebasse de l’Allemand Patrick Süskind, et enfin Rumeurs de l’Américain Neil Simon. Bien qu’il sache que désormais son cœur était fragile et exigeait quelques ménagements, Jean Poiret se laissa convaincre de jouer un des rôles principaux dans cette dernière pièce. Il posera néanmoins une condition. La première représentation ayant lieu le 22 janvier 1991, il exigea qu’elle s’arrête au plus tard le 14 juillet suivant, afin de pouvoir se reposer pendant l’été.
Interviewé, Jean se livra bien volontiers « … Moi, Gugusse je suis, Gugusse je resterai. Quand j’en aurai assez, je me mettrai au jardinage ! (…) J’ai quand même plus de soixante ans, disons le franchement. Je ne veux pas jouer la comédie au ralenti avec des scènes pépères parce que j’ai cet âge-là. Ou je continue à faire ce que je faisais à trente-cinq ans ou alors je ne fais rien du tout… » (7)
Sur scène, fidèle à lui-même, il improvisait, il enchantait et faisait rire le public, comme trente ans auparavant.
Après avoir dû abandonner le projet de reprendre la comédie de Marcel Achard Auprès de ma blonde pour en faire une comédie musicale, Jean Poiret s’attaqua à la nouvelle adaptation d’une pièce d’auteurs américains, Sam Bobrick et Ron Clark : No hard Feelings, en français Sans rancune. La première représentation eut lieu le 14 janvier 1992 au Théâtre du Palais Royal. Un nouveau succès à mettre à l’acquis de l’adaptateur bien que celui-ci n’ait guère prit part aux répétitions, laissant le montage de la pièce à son fidèle metteur en scène, Pierre Mondy.
(1) Philippe Durant Jean Poiret éditions First Document 2015
(2) Pierre Etaix, auteur dramatique, cinéaste, acteur, affichiste, clown à l’occasion.
(3) (4) (5) (6) Philippe Durant Jean Poiret éditions First Document 2015
9. Le réalisateur d’un film
Jean Poiret avait alors de nouvelles préoccupations au cours de ses nombreuses lectures, il avait découvert Le Zèbre (1) ,roman d’un jeune auteur de vingt-sept ans, Alexandre Jardin. Jean fut fasciné. Enfin, son ultime souhait de devenir réalisateur de cinéma, allait pouvoir se concrétiser . « Ce qui m’a séduit, confiait-il, outre la belle histoire d’amour dont on meurt, c’est le caractère de ces deux personnages qui jouent et se jouent la comédie, qui se donnent en représentation permanente au petit monde qui les entoure et qui regarde, surpris, incompréhensif le match de ce couple à la recherche de l’amour infini ». (2)
Outre le vif intérêt que Jean portait à l’ouvrage, il était heureux de pouvoir faire engager Caroline Cellier dans le principal rôle féminin. Une tendre collaboration s’établit entre eux. Elle l’aida dans l’écriture du scénario. Ils choisirent ensemble les lieux de tournage, – le petit village de Luzarches dans le Val d’Oise et Sceaux en Hauts-de-Seine. D’un commun accord, ils choisirent Thierry Lhermitte pour être le partenaire de Caroline.
Épuisé chaque jour davantage, se levant à cinq heures du matin pour ne quitter le studio que tard dans la soirée, Jean tenta de ne rien laisser deviner de sa fatigue. Tout le temps du tournage, il fut un maître d’œuvre incontestable et… incontesté.
Avant même d’entreprendre le montage de Le Zèbre, Jean Poiret dut respecter sa parole donnée quelques mois auparavant à Christian Gion, réalisateur du film Super Fric. Pour le tournage, Jean Poiret reprit donc son costume de comédien et s’efforça de se montrer à la hauteur de sa réputation. Mais inquiet, il ne pouvait s’empêcher de penser à son propre film, Le Zèbre, que l’on montait sans lui.
De plus en plus la fatigue se faisait sentir. Un jour, alors que Jean devait au cours d’une scène monter un escalier, le souffle lui manqua et il dut s’allonger. Pris d’un sérieux malaise, il fut conduit à l’hôpital Ambroise-Paré. Il s’agissait d’après les docteurs d’une « petite congestion pulmonaire », rien de très grave apparemment. Mais Jean devait subir une série d’examens à l’issue desquels fut décidé qu’un double pontage soulagerait le cœur du malade. Le cardiologue imposa un repos complet jusqu’au jour de l’opération.
Afin de rassurer son ami Michel Serrault, Jean lui téléphona et lui proposa de reprendre tous deux La Cage aux folles quand ses ennuis de santé seraient terminés.
Jean savait qu’il lui était indispensable de se reposer. Mais le montage de Le Zèbre n’étant pas terminé, il ne put se refuser d’y participer et s‘adressant à Caroline, il lui dit : « Tu sais, je crois que je suis en train de faire le film que je voulais faire… ». (3)
Et puis…et puis… Jean se sentait apparemment un peu mieux, il reprit donc goût à la vie. Ce qui signifiait qu’il envisagea de nouveaux projets : se plonger à nouveau dans la pièce de Marcel Achard Auprès de ma blonde, pour en faire une comédie musicale, adapter un nouveau texte de Ray Cooney : It rums in the family, remettre en scène La Cage aux folles. Il avait également en tête le projet d’une future comédie, intitulée provisoirement La Bonne grosse dont le rôle principal serait réservé à Josiane Balasko. Il contacta aussi Serge Lama et Jean-Paul Belmondo, leur proposant d’écrire pour eux de nouveaux spectacles. Il n’arrêtait pas de travailler et d’élaborer des projets.
Ainsi qu’il en était convenu, le vendredi 13 mars au matin, Jean dut se rendre à l’hôpital Foch de Suresnes pour y subir quelques examens complémentaires. L’après-midi, comme il faisait très beau, Caroline et lui décidèrent d’aller faire une promenade au Bois de Boulogne. À peine eurent-ils marché dix minutes que Jean n’en pouvait plus. Il lui fallut rentrer.
Après une relative bonne nuit, Jean fut prit au réveil d’une crise d’asphyxie. Caroline appela de toute urgence le SAMU. À peine l’ambulance arriva-t-elle à l’hôpital Foch que Jean était mort. C’était le 14 mars 1992 à 10 heures 15 du matin, il avait soixante-six ans.
Les obsèques eurent lieu en l’église de Saint Honoré d’Eylau en présence de tous ses amis et particulièrement de Michel Serrault en pleurs. L’Église n’étant pas assez vaste pour accueillir les trois mille personnes présentes, le reste de la foule qui n’avait pu entrer suivait l’office sur le parvis. De tous les coins de Paris, le public reconnaissant était venu rendre hommage à cet artiste exceptionnel qui l’avait fait si souvent rire.
Le Zèbre sortit sur les écrans parisiens le 17 juin. Ce sera un grand succès à la gloire de son réalisateur disparu.
(1) Le Zèbre prix Fémina 1988
(2) et (3) Philippe Durant Jean Poiret éditions First Document 2015
9. Le Réalisateur d’un film
Jean Poiret avait alors de nouvelles préoccupations au cours de ses nombreuses lectures, il avait découvert Le Zèbre (1) ,roman d’un jeune auteur de vingt-sept ans, Alexandre Jardin. Jean fut fasciné. Enfin, son ultime souhait de devenir réalisateur de cinéma, allait pouvoir se concrétiser . « Ce qui m’a séduit, confiait-il, outre la belle histoire d’amour dont on meurt, c’est le caractère de ces deux personnages qui jouent et se jouent la comédie, qui se donnent en représentation permanente au petit monde qui les entoure et qui regarde, surpris, incompréhensif le match de ce couple à la recherche de l’amour infini ». (2)
Outre le vif intérêt que Jean portait à l’ouvrage, il était heureux de pouvoir faire engager Caroline Cellier dans le principal rôle féminin. Une tendre collaboration s’établit entre eux. Elle l’aida dans l’écriture du scénario. Ils choisirent ensemble les lieux de tournage, – le petit village de Luzarches dans le Val d’Oise et Sceaux en Hauts-de-Seine. D’un commun accord, ils choisirent Thierry Lhermitte pour être le partenaire de Caroline.
Épuisé chaque jour davantage, se levant à cinq heures du matin pour ne quitter le studio que tard dans la soirée, Jean tenta de ne rien laisser deviner de sa fatigue. Tout le temps du tournage, il fut un maître d’œuvre incontestable et… incontesté.
Avant même d’entreprendre le montage de Le Zèbre, Jean Poiret dut respecter sa parole donnée quelques mois auparavant à Christian Gion, réalisateur du film Super Fric. Pour le tournage, Jean Poiret reprit donc son costume de comédien et s’efforça de se montrer à la hauteur de sa réputation. Mais inquiet, il ne pouvait s’empêcher de penser à son propre film, Le Zèbre, que l’on montait sans lui.
De plus en plus la fatigue se faisait sentir. Un jour, alors que Jean devait au cours d’une scène monter un escalier, le souffle lui manqua et il dut s’allonger. Pris d’un sérieux malaise, il fut conduit à l’hôpital Ambroise-Paré. Il s’agissait d’après les docteurs d’une « petite congestion pulmonaire », rien de très grave apparemment. Mais Jean devait subir une série d’examens à l’issue desquels fut décidé qu’un double pontage soulagerait le cœur du malade. Le cardiologue imposa un repos complet jusqu’au jour de l’opération.
Afin de rassurer son ami Michel Serrault, Jean lui téléphona et lui proposa de reprendre tous deux La Cage aux folles quand ses ennuis de santé seraient terminés.
Jean savait qu’il lui était indispensable de se reposer. Mais le montage de Le Zèbre n’étant pas terminé, il ne put se refuser d’y participer et s‘adressant à Caroline, il lui dit : « Tu sais, je crois que je suis en train de faire le film que je voulais faire… ». (3)
Et puis…et puis… Jean se sentait apparemment un peu mieux, il reprit donc goût à la vie. Ce qui signifiait qu’il envisagea de nouveaux projets : se plonger à nouveau dans la pièce de Marcel Achard Auprès de ma blonde, pour en faire une comédie musicale, adapter un nouveau texte de Ray Cooney : It rums in the family, remettre en scène La Cage aux folles. Il avait également en tête le projet d’une future comédie, intitulée provisoirement La Bonne grosse dont le rôle principal serait réservé à Josiane Balasko. Il contacta aussi Serge Lama et Jean-Paul Belmondo, leur proposant d’écrire pour eux de nouveaux spectacles. Il n’arrêtait pas de travailler et d’élaborer des projets.
Ainsi qu’il en était convenu, le vendredi 13 mars au matin, Jean dut se rendre à l’hôpital Foch de Suresnes pour y subir quelques examens complémentaires. L’après-midi, comme il faisait très beau, Caroline et lui décidèrent d’aller faire une promenade au Bois de Boulogne. À peine eurent-ils marché dix minutes que Jean n’en pouvait plus. Il lui fallut rentrer.
Après une relative bonne nuit, Jean fut prit au réveil d’une crise d’asphyxie. Caroline appela de toute urgence le SAMU. À peine l’ambulance arriva-t-elle à l’hôpital Foch que Jean était mort. C’était le 14 mars 1992 à 10 heures 15 du matin, il avait soixante-six ans.
Les obsèques eurent lieu en l’église de Saint Honoré d’Eylau en présence de tous ses amis et particulièrement de Michel Serrault en pleurs. L’Église n’étant pas assez vaste pour accueillir les trois mille personnes présentes, le reste de la foule qui n’avait pu entrer suivait l’office sur le parvis. De tous les coins de Paris, le public reconnaissant était venu rendre hommage à cet artiste exceptionnel qui l’avait fait si souvent rire.
Le Zèbre sortit sur les écrans parisiens le 17 juin. Ce sera un grand succès à la gloire de son réalisateur disparu.
(1) Le Zèbre prix Fémina 1988
(2) et (3) Philippe Durant Jean Poiret éditions First Document 201
10. Quelques pièces
LA CAGE AUX FOLLES
Pièce en quatre actes, créée le 5 février 1973 , au théâtre du Palais Royal, interprétée par
Michel Serrault, Jean Poiret, Philippe Lavet , Jacqueline Mille, Danièle Luger, Marcelle Ranson, Marco Perrin, Pierre Decazes , Paul Demange , Benny Luke, Maurice Bray, Jean- Claude Robbe, Frédéric Norbert, Bernard Murat. Mise en Scène de Pierre Mondy . Décors d’André Levassor.
Argument
La Cage aux folles est le nom d’un night-club pour travestis, dirigé par un couple d’homosexuels : Georges et Albin. Une vingtaine d’années auparavant, Georges avait eu un fils Laurent. Ce dernier, tombé amoureux, allait se marier. Il devait présenter son père à ses futurs beaux-parents. Comment ceux6ci très rigoristes allaient-ils accepter la situation ? …
Critiques
« Le génie de Poiret est de n’avoir pas succombé à la tentation d’une caricature des mœurs. Il a inventé une histoire absolument démente et il s’en donne à cœur joie pour greffer là-dessus les situations les plus extrêmes, les plus culottées, les moins soutenables ».
Philippe Tesson Le Canard enchaîné
« Jean Poiret a du tact, mieux : de l’esprit, un sens aigu du théâtre, une audace calculée dans la manière de conduire ses scènes et son dialogue, une grande perspicacité psychologique ».
Georges Lerminier Le Parisien
« À la saumâtre complicité avec le public quêtée ici, on mesure la déchéance d’un genre : le vaudeville ».
Jean-Pierre Léonardin L’Humanité
« Cocasse, burlesque, drôle, d’un rythme sans faiblesse, cette clownerie ( sans vulgarité ) ne déçoit pas. C’est énorme ! ».
Jean Lemarchand Le Nouveau Journal
« Le burlesque nous ébloui tel un éclair. Passez muscade. Nous voilà plus heureux que des enfants à Guignol ».
Pierre Marcabru France-Soir
JOYEUSES PÂQUES
Pièce en quatre actes, créée le 18 janvier 1980, au théâtre du Palais Royal, interprétée par : Jean Poiret, Nicole Calfan, Maria Pacôme, Odette Laure, Christiane Muller, Louise Colpeyn, Nicole Vogel, Marc Bassier. Mise en scène de Pierre Mondy.
Analyse
C’est un aimable quinquagénaire qui veut savoir si son charme agit toujours sur les couches fraîches et féminines de la population ». (1) Stéphane, en l’absence de sa femme Sophie censée prendre l’avion ramène une jeune fille, Julie, chez lui. Or Sophie revient inopinément. Pris au dépourvu, Stéphane tente de faire passer Julie pour une fille qu’il aurait eue d’une précédente union. Il s’enferre de plus en plus alors que les deux femmes sympathisent…
Critiques
« Que tout cela est gai, vivant, léger , ingénieux ! Le bonheur s’installe avant que les retardataires aient fini de tousser, il ne nous quittera plus, même le rideau baissé. Guitry en sourit sûrement dans sa tombe (…) Jean Poiret a décidemment bien de la chance… Ce n’est pas demain qu’il cessera de faire des envieux ».
François Chalais France-Soir 2 février 1980
« Qu’importe la situation ! Jean Poiret s’en moque bien, comme il se moque de la vraisemblance et de la psychologie et du tiers comme du quart. Nous sommes au Palais royal. Noblesse oblige. Il veut faire rire et il faut rire d’un rire franc massif, énorme un rire sans remords ni scrupule, un rire heureux, un rire physique, un rire d’enfant (…) Tel est le boulevard selon mon cœur. Délibérément clownesque, invraisemblable, hors du temps et du réel sans vulgarité, ni bassesse , tout en pirouettes, en effarements, en effets bœuf. Tout dans l’instant. Théâtre agité, virevoltant, où l’acteur sans cesse danse et jongle, forçant les mots, en plein bonheur et se donnant comme un boxeur (…) Ici on est ailleurs, on oublie tout, divertissement dans le sens fort qui nous retourne de nous-mêmes et qui nous lave. C’est une secousse où la raison n’a point part. Une rupture… Et on en sort ragaillardi. Cure de jouvence ! (…) Il faut voir Poiret en action , pas une seconde de répit, jamais posé, toujours dansant, l’œil ahuri ou le regard vif, toujours furieux, penaud, conquérant, désabusé, toujours comique ».
Pierre Marcabru L’Aurore 1er février 1980
« Comment résister à Jean Poiret, (…) à la gaîté du rire dont nous avons ,plus que jamais un si pressant besoin ? Comment résister et, surtout pourquoi résister ? Tout joue au Palais-Royal pour l’agrément des spectateurs : la « situation », les caractères, tel que l’auteur les dépeint, par la manière de parler des personnages, le mouvement, les rebondissements, les apartés, les réparties, la verve de l’ouvrage, la virtuosité del’auteur-acteur ».
Jean-Jacques Gautier Le Figaro Magazine 23 février 1980
« Feydeau peut dormir tranquille : la relève est assurée ».
Jean Vigneron La Croix
(1) Dixit Jean Poiret
11. Œuvres dramatiques
Auteur :
1963 Sacré Léonard – Théâtre des Bouffes Parisiens
1966 Opération Lagrelèche – Théâtre Fontaine
1969 Les Grosses Têtes – Théâtre du Palais Royal
1970 Douce Amère – Théâtre de la Renaissance
1972 Il était une fois l’Opérette – Théâtre du Palais Royal
1973 La Cage aux Folles – Théâtre du Palais Royal
1974 L’Impromptu de Marigny – Théâtre de Marigny, interprétation par les artistes de la Comédie Française
1973 Féfé de Broadway – Théâtre des Variétés
1980 Joyeuses Pâques – Théâtre du Palais Royal
1986 Les Clients – Théâtre Edouard VII
Adaptateur :
1985 Tailleur pour dames d’après Georges Feydeau – Théâtre des Bouffes Parisiens.
1987 C’est encore mieux l’après-midi d’après Ray Cooney – Théâtre des Variétés
1989 La Présidente d’après Maurice Hennequin – Théâtre des Variétés
1990 Trois partout d’après Ray Cooney – Théâtre des Variétés
1991 Rumeurs d’après Neil Simon – Théâtre du Palais Royal
1992 Sans rancune d’après Sam Bobrick et Ron Clark – Théâtre du Palais Royal
12. Extrait
LA CAGE AUX FOLLES
1er Acte
Décor unique.
Un living dans l’appartement directorial d’un night-club spécialisé dans le travesti d’hommes, sur la Côte. La pièce est prolongée par une terrasse. La boîte est adjacente, mais nous n’en prenons conscience que par les interventions sporadiques d’employés qui viennent consulter le patron. L’ensemble est d’une grande préciosité. Le style boudoir d’un goût exquis est tellement équivoque qu’il finit par ne plus l’être. Des bustes d’hommes, des gravures. C’est l’été, le soir. Une femme de dos, à sa coiffeuse, finit de se maquiller. Un homme d’une quarantaine d’années : George. est visiblement énervé par sa lenteur.
Georges : Presse-toi ! Tu sais, qu’un jour, les gens en auront marre, et se fâcheront. Jamais, jamais tu ne trouves le moyen d’être à l’heure. Au lieu de traîner au lit avec tes « Séries Noires », tu commencerais à t’apprêter plus tôt, tu n’aurais pas à courir comme tu le fais, et tu épargnerais mes nerfs ; parce que, finalement, c’est moi que ça rend malade ! Ne réponds surtout pas ; ne te donne pas la peine de me répondre. Tu t’étioles au lit ! Tu avais des épaules ravissantes, regarde ce qu’elles sont devenues. De la pâte ! Un gigot en croûte ! (L’autre continue à se maquiller sans rien dire.) Un jour, je me lasserai, tu sais ! Qu’est-ce que tu feras, ce jour-là ? Oui, allez ! ils sont bien tes cils ; ça suffit.
À ce moment, une porte dérobée s’ouvre, et Francis, un garçon de 35-40 ans, fait irruption dans la pièce. La porte, restée ouverte, permet d’entendre les échos d’une chanson, provenant du cabaret.
Francis (s’adressant au personnage de dos) : Tu te magnes, Zaza, oui ?
Zaza : Oh !
Georges (à Francis) : Vous n’avez pas à parler sur ce ton-là à Monsieur.
La dénommée Zaza se retourne en ôtant le foulard de dessus sa tête; c’est un homme : Albin.
Francis : Mercédès va encore pousser une gueulante,
Albin : Mercédès n’est pas la petite amie du patron ; alors, qu’elle la boucle ! Et puis, un mot de plus et je ne descends pas, C’est simple. C’est pas le jour, vous savez !
Georges : Tu ne vas pas encore faire un caprice !
Albin : D’ailleurs, pour ce que j’ai à faire dans cette revue, je pourrais rester là.
Georges : Oh ! la mauvaise foi! Tu fais tout dans la revue ! Alors, ne recommence pas.
Albin : Tu ne m’écris plus des rôles comme tu m’écrivais avant. C’est parce que tu m’aimes moins : c’est normal ! Après tant d’années de vie commune : tu me regardes comme un pot au feu, plus comme une reine du théâtre.
Georges : Allez, ça y est ! C’est parti. Ah, Dieu !
Albin : Qu’est-ce que tu me fais jouer maintenant ? Manouche, La Folle de Chaillot et Elisabeth la femme sans homme. Tu crois que c’est galant de faire jouer Elisabeth la femme sans homme à une dame ? Où est-il le temps où tu me faisais danser la nymphe au cœur fidèle avec une petite culotte en jonquilles et un soutien-gorge en orchidée.
Georges (embarrassé) : Ben oui, mais, le public en a marre des nymphes ; ce n’est plus la mode des nymphes.
Albin : Tais-toi donc ! le public adorait ça ! Je n’ai jamais eu autant de succès que dans la nymphe au cœur fidèle. C’était un tableau ravissant. Tendre, émouvant. Quand je mourrais, je voyais les gens aux tables en larmes, avec leur mouchoir dans la bouche.
Georges : Oui, mais les gens veulent rire ouvertement maintenant sans se mettre de mouchoir dans la bouche.
Albin : Qu’est-ce que tu veux dire ?
Georges : Rien, mais on ne peut pas tout le temps faire des scènes de nymphe.
Albin : De toute façon il n’y a plus de corps pour jouer les nymphes. Ce ne sont pas des minets comme Monsieur Ghislaine de Guermantès ou Monsieur Salomé Von Liebig avec leurs cuisses rachitiques qui peuvent se permettre de jouer les nymphes. À propos, fais-le donc monter Monsieur Salomé. J’ai deux mots à lui dire.
Georges : Tu lui diras en bas ce que tu as à lui dire.
Albin : Non ! Non ! Je veux te montrer ce qu’il se permet de faire en scène, Monsieur Salomé, pendant que je chante. Apelle-le.
Georges : Non !
Albin : Si !
Georges : Ah ! (Ouvrant la porte de la boîte.) Francis, faites monter Salomé une seconde. Tu nous feras casser la baraque un jour avec tes retards ! Tu seras content ce jour-là.
Albin : Je ne ferai pas n’importe quoi. Je suis une vraie professionnelle, moi ! J’ai un public qui vient pour moi. Engage des débutantes, si tu veux, mais qu’elles ne gênent pas les vrais artistes.
Georges : Ah tu sais, les vraies artistes, par moment !
Il fait un geste pour montrer sa lassitude. Salomé paraît, venant de la boîte. C’est une assez jolie personne au sexe indéfini, à l’apparence de
garçon, s’ingéniant, avec des allures de dame, à composer un personnage d’homme.
Albin : Ah ! Arrivez un peu ici, ma petite. J’aimerais bien que Monsieur Georges vous règle vos gestes pour le tableau de La Reine de Broadway, parce que vous faites n’importe quoi, maintenant.
Georges : Bon, alors, allons-y ; que je vois ça!
Albin (à Georges) : Envoie le play-back. Au début de Sranges thé night.
Georges fait démarrer une mini-cassette.
Georges : Au moment d’entrer en scène ! Je vous jure !
Albin : C’est très joli d’avoir vingt ans et la cuisse longue. Ça ne suffit pas pour vous donner du talent, vous comprenez, mon petit loup. (La musique démarre. Albin fait quelques pas dans une chorégraphie simpliste qui a été réglée visiblement à la mesure de ses moyens, sur le mode vamp. Il va enjôler le jeune homme qui prend, pour la circonstance, des allures de ténébreux. Puis Albin s’arrête net.) Là, stop ! Arrête la musique. Tu as vu ? Tu as vu ce qu’il fait ?
Georges : Qu’est-ce qu’il fait ?
Albin : Tu n’as pas vu? Tu le fais exprès : il fait des bulles avec son chewing-gum pendant que je chante.
Salomé : Et alors ?
Albin : Il dit « Et alors ? ». Je vais lui taper dessus. Il n’a pas à attirer l’attention de la salle avec sa langue pendant que je chante. Surtout que c’est déjà très dur à chanter.
Georges : Oh ! en play-baek !
Albin : Et alors ! Le sentiment, les intentions, les mimiques que je mets dessus, tu crois que ce n’est pas fatiguant ? Alors qu’il m’aide bon Dieu !
Georges (à Salomé) : En tout cas, tu n’as pas à faire des bulles avec ton chewîng-gum. Un peu de tenue, bon Dieu, quoi !
Albin : Il ne joue pas du tout avec moi. Comment veux-tu que je sois bien.
Georges : Pense à la situation un peu, bon sang. Ce n’est pas parce que nous jouons une revue de travestis qu’il n’y a pas de situation. Tu es un jeune homme perdu dans la nuit, dans le brouillard. Et soudain, qu’est-ce que tu vois ? Cette femme qui apparaît… qui est… (Il cherche des mots qui tenteraient de décrire la grâce, la beauté, et visiblement Albin ne les lui inspire pas, alors, il se contente de dire 🙂 … qui est… une femme. Alors tu es là, sous le charme…
Salomé essaie de rectifier l’attitude, sans conviction.
Albin : … Il se demande s’il rêve.
Georges : Ben oui, il y a de quoi !
Albin : Il n’aime pas les femmes, qu’est-ce que tu veux ! Et ça, ça se sent !
Georges (conciliant) : Ce n’est peut-être pas à nous de lui jeter la pierre.
Albin : Non, je sais bien, mais enfin… il y a des limites ! Une vraie femme, je comprends, mais moi !!!
Georges : Il l’a bien vu, maintenant, il va le faire. Il l’a bien vu !
Georges se dégage, prend la mini-cassette et arrête la bande.
Albin : Oui, oh ! « il a bien vu », tu penses ! Ce sont des amateurs tout ça ! En tout cas, qu’il ne recommence pas à faire des bulles, sinon je le gifle en scène.
Francis surgit du bas.
Francis : Mercédès a remis quatre chansons.
Georges : Tu te rends compte!
Francis : Et vous savez, plus elle en remet, plus ça devient scabreux.
Georges : Je lui dis.
Francis : Elle va attaquer Les Filles de Pont-à-Mousson !
Le seul énoncé de ce titre suffit à affoler Georges.
Georges (à Albin>) : Mon chéri, à genoux, je t’en supplie, presse-toi ; qu’elle ne chante pas Les Filles de Pont-à-Mousson.
Albin : Mon manteau ! Le théâtre crève de l’amateurisme. Je suis la dernière grande professionnelle. Après moi, le néant.
Georges : Sois bien.
Albin : Mon éventail ! Je n’ai pas mon éventail !
Georges : Oh ! Ton éventail…
Albin : Je ne peux pas chanter sans mon éventail.
Georges : Je te le fais descendre par Jacob. (Albin sort en faisant des vocalises. Georges referme la porte de communication. Il crie vers la coulisse 🙂 Jacob, tu descendras l’éventail de Monsieur. (Il branche le haut-parleur-témoin qui retransmet le spectacle. On entend les bribes d’une chanson assez vulgaire chantée par une voix de femme rocailleuse. Georges retient son souffle. La chanson, par bonheur, se termine rapidement. Quelques applaudissements, et on enchaîne sur l’annonce de Zaza Napoli. Applaudissements à son entrée. Baratin de Zaza-Albin qu’on discerne vaguement. Pendant que Georges écoute, un superbe noir est entré dans la pièce. Il est simplement vêtu d’un pagne, mais presque totalement dissimulé derrière un grand éventail de plumes, semblable à celui qui a fait la gloire de Joan Warner. Il se glisse derrière Georges. Il ondule autour de lui.) Jacob, perds cette habitude de te promener toujours, tout nu.
Jacob : Tu aimes pas ?
Georges : Pas pendant le service. Il peut entrer n’importe qui.
Jacob : Y’a que des folles qui entrent ici, alors !
Georges : Non, il n’y a pas que des folles. Monsieur Tabaro n’est pas une folle.
Jacob : Il y viendra.
Georges : Pauvre Monsieur Tabaro ! À soixante-douze ans !
Jacob : Pourquoi tu veux pas que je fasse un numéro moi aussi ?
Georges : Parce que tu fais très bien la cuisine et le ménage, et que je ne tiens pas à te laisser filer.
Jacob : Je continuerai à faire la cuisine et le ménage.
Georges : Non, non, je vous connais vous autres. Dès qu’on vous colle sur un plateau avec deux projecteurs roses dans la gueule, vous avez la tête qui enfle, et vous vous tirez avec un armateur grec au bout de huit jours.
Jacob : Moi, je serai fidèle.
Georges : J’en ai eu des soubrettes auxquelles j’ai mis le pied à l’étrier. Elles m’ont toutes fait le coup : Albert, Eric, Roberto. Les ennuis que j’ai eu avec Roberto, tiens ! Elle avait levé un petit commerçant, un cordonnier, qui était venu là prendre un verre, un soir, avec sa femme, pour fêter leur trentième anniversaire de mariage. Le malheureux. À cinquante-cinq ans : la révélation ! Alors, les bonniches, maintenant, elles restent à l’office.
Jacob : Esclavagiste ! Faulkner ! T’as bien fait faire un tour de chant à ta bonne femme.
Georges : Albin est entré ici comme maître d’hôtel, pas comme cuisinier.
Jacob : Oui, eh bien ! Attends, ta cuisine ! Tu vas voir, ta cuisine ! Je crache dans ta cuisine ; je crache dans ta choucroute.
Georges : Oui oh ! la choucroute ! Tu ne sais faire que ça, la choucroute !
Jacob : C’est un plat de mon pays.
Georges : Eh bien, retournes-y, dans ton pays si tu n’es pas content !
Jacob : Tu sais bien que je ne peux pas vivre a Bruxelles, il fait trop froid.
Georges : Alors, tiens-toi, sinon, je te réexpédie dans tes brumes.
Jacob : Vilain Diable blanc.
Georges : Allez, descends Sale Belge!
Il ouvre la porte de communication, et se heurte à une plantureuse fille rousse qui se rue comme une furie dans la pièce. Jacob disparaît.
Mercédès : J’en ai marre, j’en ai marre de ta gonzesse. On est toutes ses bonnes, à cette pétasse.
Georges : Mercédès ! Un ton au-dessous, tu veux : tu as une camarade qui travaille.
Mercédès : Je m’en fous. Pourquoi est-ce qu’elle est descendue ? Fallait même pas qu’elle se dérange. Au point où j’en étais, j’aurais fini la soirée.
Georges : Tu devrais être contente, tu te plains toujours de ne pas en chanter suffisamment.
Mercédès : Oui mais, pas en bouche-trou. Ou j’en chante huit tous les jours, ou j’en chante quatre. Pas selon les humeurs de Madame. Elle n’a qu’à moins traîner au lit, ce gros veau.
Georges : Mercédès, tu oublies devant qui tu parles.
Mercédès : Elle te fait du tort, Georges, elle fait du tort à la boîte. Tu veux absolument en faire une vedette. Ce n’est pas une vedette. Elle n’est pas excitante, elle n’est pas féminine. « La nouvelle Marlène » !!! Tu parles ! elle ne peut même pas montrer ses jambes, ses deux malheureux boudins !
Georges : Tu: es une aigrie, Mercédès ! Voilà ce que tu es !
Mercédès (éclate en sanglots) : Comme tu es dur ! Comme tu es blessant ! Elle a tout Zaza : les bijoux, les toilettes. Tu lui as dessiné les plus jolies robes du spectacle. Moi, regarde comme je suis attifée. Une pauvresse !
Georges : Tu es ravissante.
Mercédès : Elle ne fait rien de la journée. Elle chante. Elle bouffe. Un peu trop, parce qu’elle commence à être sérieusement enveloppée, Zaza. Elle se couche. Moi, je ne suis jamais au lit avant trois heures et à six heures je suis au volant de mon arroseuse municipale.
Georges : C’est de la folie.
Mercédès : C’est de la folie ! C’est pas avec le salaire de famine que tu me donnes ici que je peux m’en sortir.
Georges : Si tu n’avais pas le train de vie que tu as, tu pourrais. (Les larmes de Mercédès redoublent.) Qu’est-ce qu’il y a encore? Qu’est-ce que tu as? Tu as quelque chose? (Mercédès fait signe que oui, dans les larmes.) Tu as fait une bêtise ?
Mercédès : J’attends un enfant.
Georges : Encore ! Tu as encore fait un enfant à Louise ! Mais tu vas la tuer, la malheureuse ! Ça fait le septième.