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LE THÉÂTRE HÉBERTOT 1830 – 1940

par Serge Bouillon

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par Serge Bouillon

1 – 1830, le village des Batignolles

Le siècle avait 30 ans, la bataille d’Hernani faisait rage au Théâtre Français, tandis qu’à deux pas du Palais Brongniard qui venait de fêter  son quatrième anniversaire, un vaudeville, dans le théâtre du même nom, remportait un franc succès de rire ; il avait pour titre, Hernani ou la contrainte par cor.
La rue de la Paix s’enorgueillissait d’être, depuis un an, éclairée au gaz.
Notre-Dame confiait aux Lazaristes les reliques  de l’ancien curé de Clichy, Saint Vincent de Paul.
Au Palais Royal, le Duc d’Orléans dansait sur un volcan.  Alger était prise le 9 Juillet.

Charles X publiait le 25 juillet trois ordonnances portant :
– Dissolution de la Chambre,
– Modification du mode de scrutin,
– Suppression de la liberté de la Presse.

L’insurrection débutait le lendemain.
Elle était générale le 28, Charles X abdiquait le 2 Août, Louis Philippe occupait le trône, le 9.

De l’autre côté du mur, au-delà des boulevards extérieurs, (aujourd’hui des Batignolles et de Courcelles) entre le chemin de Villiers (notre rue de Courcelles) et le Bas Montmartre, les quartiers champêtres des Batignolles et de Monceau qui appartenaient à l’agglomération de Clichy la Garenne, venaient d’obtenir, par ordonnance royale du 10 Février, d’en être détachées et de se constituer en commune sous le nom de Batignolles Monceau.

À une commune, ne fut-elle riche que de 3.300 âmes pour 280 ha, il faut une Mairie, une Église et un Théâtre.

2 – La Spéculation immobilière 1830 – 1840

Cela n’offrait pas de réelles difficultés. Ces deux territoires sur lesquels, en effet, les maisons avaient depuis  vingt ans commencé à pousser comme des champignons, comptaient parmi ses habitants les plus entreprenants, quelques spéculateurs immobiliers consumés par la fièvre de la construction.
Ils étaient de plus tout à fait conscients, ces spéculateurs souvent entrepreneurs de surcroît, qu’autour de la Mairie, de l’Église et du Théâtre, l’opportunité leur serait d’autant plus offerte, de donner libre cours à leur rage de construire.
Si bien que les gazettes des années 30 à 40 sont pleines des transformations des Batignolles Monceau. Pleines aussi des déboires des bâtisseurs dont la vie entière ne fut qu’une succession de saisies et de bonnes fortunes.

Nos rues célèbrent leur mémoire, qu’ils se soient appelés Lécluse, Lacroix, Lemercier, Truffaut, Capron ou Puteaux, lequel fit très fort puisque même le petit village de l’Yonne où il vit le jour, devait donner son nom à la rue de Chéroy
L’Église, ce fut Sainte Marie des Batignolles. Une chapelle avait été élevée en pleins champs deux ans plus tôt, il suffisait de l’agrandir.
La Mairie connut une installation provisoire au 54 de ce qu’on appelait, la grand’rue des Batignolles.

Et, dans le même mouchoir de poche, un nommé Besançon Souchet, construisit, Rue Lemercier, une salle polyvalente (dirait-on aujourd’hui) de deux cents places, transformable en théâtre en moins de 30 minutes.
Or, ce Souchet, dont le répertoire des rues a oublié le nom, ne manquait pas d’audace, car pour construire un Théâtre, il en allait tout autrement que pour une quelconque Église ou une banale Mairie.

3 – L’Étrange aventure de Pierre Seveste

Il fallait un privilège royal, et malgré les protestations des Batignollais, qui n’avaient pas attendu que soit achevé l’an un des Batignolles Monceau pour pétitionner d’importance auprès du Ministre de l’Intérieur, malgré leur protestations le pouvoir refusait le privilège.
Soutenus par la Municipalité, Souchet et le locataire de la salle, un certain Barthélémy qui y faisait représenter vaudevilles et mélodrames, s’obstinaient. Le Ministère aussi.

Si bien qu’en dépit de l’intermittence des représentations, en dépit du fait qu’elles étaient données au bénéfice des pauvres de la Commune, Souchet et Barthélémy se virent condamnés, en Juillet 1833, à la fermeture définitive, assortie d’une amende. Obstiné, Souchet ne s’en tînt pas là.
Il loua sa salle à un certain Monet, qui dut rouvrir très vite puisqu’en Janvier 34, moins de six mois plus tard, il était à son tour condamné à la fermeture, et avec Souchet, au paiement d’une substantielle amende.
L’attitude du Ministère, parait, en cette occurrence, quelque peu drastique.

La vérité est que le pouvoir  n’en pouvait mais, accablé qu’il était des plaintes d’un chanteur du Vaudeville, Pierre Seveste, titulaire depuis Juin 1817 du privilège exclusif d’exploitation de tous les théâtres de la banlieue parisienne.
Pierre Seveste était en effet le petit-fils d’un des aides fossoyeurs qui, au cimetière de la Madeleine, en 1793 avaient procédé le 21 Janvier  à l’inhumation de Louis XVI, inhumation suivie en Octobre de celle de la Reine Marie Antoinette, après qu’elle eut été menée à l’échafaud dans une charrette que conduisait un comédien, le sieur Grammont, lequel ne tardera pas à connaître la même fin.

Dès la première Restauration, soucieux d’édifier à l’emplacement du cimetière de la  Madeleine une chapelle expiatoire, Louis XVIII prescrivit des recherches pour retrouver les dépouilles de son frère et de sa belle – soeur.
Seuls, Pierre-Louis Olivier Desclozeaux qui avait acheté les 850 m2 du cimetière et Pierre Seveste qui enfant avait été témoin des inhumations, furent à même d’en indiquer l’emplacement.

Ce service rendu à la monarchie valut à Desclozeaux le cordon de St. Michel, et à Seveste le privilège qui lui permit de construire et d’exploiter toute une chaîne de théâtres hors les murs.

4 – Un nouveau théâtre face au mur

Ces murs en effet étaient des barrages douaniers au-delà desquels la vie était champêtre et bien meilleur marché que dans les douze arrondissements de Paris.  Si bien que de Théâtre en Théâtre, Seveste pouvait faire tourner le même mélodrame, qui ayant fini intra muros sa carrière bourgeoise, entamait extra muros sa carrière populaire.

Ne lui jetons tout de même pas trop la pierre. Nombre de salles construites à son initiative font encore les beaux soirs du public d’aujourd’hui, tandis que d’autres ont connu, avant de disparaître, la fièvre cinématographique, quelquefois même,  l’outrage du super marché.
Donc, Pierre Seveste veillait au grain et ne supportait pas qu’un Théâtre soit construit et exploité aux Batignolles si ce n’est par ses soins.

C’est pourtant ce qu’avec Léon Droux, allait tenter de faire Louis Puteaux, propriétaire d’un terrain de 1200 m2 jouxtant le boulevard extérieur d’alors, face au mur, entre les barrières de Clichy et de Monceau.
C’est ainsi, qu’avec pour architecte, Eugène Lequeux, (Azémar, disent d’autres documents), qui venait d’achever l’Église, nos deux  compères mettaient en 1838, la dernière main à ce qu’ils allaient appeler le Théâtre des Batignolles Monceau.
Survint alors  la famille Seveste, qui ne consentit à autoriser la fin des travaux, qu’à la condition qu’elle exploiterait elle-même la salle de spectacle.
Ce qu’elle fit jusqu’en 1842.
À la faveur d’une fermeture provisoire pour difficultés financières, la société propriétaire tenta de reprendre les commandes.
L’un des actionnaires, Guyot assisté du comédien Sardou, y exercèrent leurs talents pendant six semaines et expièrent en prison la violation du privilège.
Le 2 Décembre 1845 un arrêté ministériel faisait des survivants de la famille Seveste -les fils Jules et Edmond – les locataires et seuls exploitants du bail du Théâtre des Batignolles Monceau.

En 1848, le théâtre en bois et moellons fut entièrement reconstruit et agrandi par Louis Puteaux qui s’était rendu acquéreur des matériaux de démolition de l’abbaye cistercienne de N.D du Val construite au XIIème siècle à Mériel dans le Val d’Oise.
Le dôme  en plâtre armé dit « à l’impératrice » qui couvre encore  la salle, est unique en son genre.

En 1849, Edmond Seveste, malade et désormais privé de son privilège arrivé à échéance, se retira et le théâtre connut toute une théorie de directeurs pour qui Mélodrame et Vaudeville se partageaient l’affiche, soit qu’ils aient terminé leur carrière à Paris, soit qu’ils aient été montés pour des tournées banlieusardes ou provinciales.

5 – Henri Larochelle, directeur et bâtisseur de théâtre

En 1849, Henri Larochelle, un comédien dont la vocation de directeur de théâtre devait être impérieuse puisqu’il achètera à Seveste deux ans plus tard les Théâtres de Montparnasse, de Grenelle et de Montmartre, qu’il fonda avec l’accord de Seveste, les Théâtres des Gobelins et de Cluny et qu’il conclut des accords avec les salles de Courbevoie, de Meudon et de Sèvres.

Henri Larochelle fut probablement après Seveste, le seul Directeur à cumuler autant de directions. Son nom et celui de sa veuve sont particulièrement attachés au Théâtre Montparnasse qu’ils reconstruisirent deux fois, la dernière version étant celle que nous connaissons.

En 1850, date à partir de laquelle les représentations furent données chaque jour, et non plus seulement en fin de semaine (la population dépassait alors 25.000 habitants et la proximité de l’embarcadère des chemins de fer aidant, Paris montait volontiers aux Batignolles), en 1850 donc, Libert et Gaspari se partagent la direction, ce dernier, comédien, est chargé aussi de la programmation du Théâtre Montmartre (l’actuel Théâtre de l’ Atelier).
En 1853, ce fut le tour d’Alexandre Hippolyte Chotel, dont le titre de gloire était d’avoir donné la réplique à Rachel.
En 1860, ce fut l’annexion.
La commune des Batignolles-Monceau n’avait duré que 30 ans et la chute du mur des Fermiers Généraux, faisait enfin du Théâtre de Chotel, une salle parisienne.

6 – 1873 – 1907 la fin du mélodrame et du vaudeville

Cependant, la disparition des avantages financiers attachés aux entreprises hors les murs allait rendre moins attractive sa fréquentation et  plus difficile son exploitation.
Chotel en sut quelque chose, qui, pas plus que ses prédécesseurs, ne réussit à équilibrer sa gestion.
Lorsqu’il mourut en 1873, sa Direction avait pourtant favorisé l’émergence de nouveaux talents, tant au plan des dramaturges, que des comédiens.

Elle avait connu après le désastre de Sedan, la fermeture provisoire, puis les réunions politiques d’un club blanquiste notamment.
Elle avait connu les assauts des Versaillais tandis qu’une vingtaine de communards assiégés défendaient l’accès du Théâtre.
Madame Chotel reprit le flambeau jusqu’en Août 1886 et grâce à deux troupes qui se produisaient tour à tour, à Montmartre et aux Batignolles, elle renouvela ses spectacles chaque semaine.

Pascal Delagarde, vedette des Théâtres de quartier lui succéda pour six ans, avec notamment Le Juif polonaisNotre Dame de ParisLes Deux orphelines tandis que son épouse allait tenir jusqu’en 1904 à la tête des deux théâtres de Montmartre et des Batignolles, dans lesquels fut créé Le Fils de Lagardère.
Pierre Félix, un homme de lettres, prit les rennes durant une saison et en Octobre 1905, Eugène Berny entreprit la rénovation totale du théâtre avant de le baptiser « Théâtre des Arts » et d’y représenter Le Roi sans couronne de Saint-Georges de Bouhelier,avec 60 comédiens à l’affiche.
La pièce fut un succès.

La substitution d’enseigne fut moins appréciée des propriétaires qui prononcèrent l’exclusion de Berny au profit de l’auteur dramatique Maurice Landay qui reçut le jeune Sacha Guitry avec une adaptation très libre des Nuées d’Aristophane, avant de céder la place en Octobre 1907 à Robert d’Humières, poète dramatique, nouveau titulaire du bail du Théâtre des Arts.
C’en était fini du mélodrame et du Vaudeville.

7 – 1907 – 1913 : La direction de Jacques Rouché

Le Théâtre du Boulevard des Batignolles affichait maintenant sa vocation. Il serait le promoteur d’oeuvres ambitieuses, choisies pour leur rigueur.
Leurs auteurs en furent Léopold Kampf, Franck Wedekind, René Fauchois, George Bernard Shaw, Jules Lemaître, H.R Lenormand, Oscar Wilde, Sarah Bernhardt, Alfred Mortier.
De jeunes acteurs allaient trouver ici leur première chance comme André Luguet et Charles Dullin.

Ex-attaché de Cabinet du Ministre du Commerce,  Jacques Rouché, fils de grands bourgeois, avait dirigé la Grande Revue, édité Jules Renard et Jean Giraudoux. Il avait publié un traité de scénographie L ‘Art Théâtral Moderne.
Propriétaire des Parfums Piver, il arrivait au Théâtre avec de grandes ambitions pour cet art qu’il entendait rénover et avec, ce qui ne gâte rien, les moyens de ses ambitions.

Au contraire d’Antoine qui prônait le naturalisme le plus total, au contraire de Copeau qui recherchait, pour mieux mettre en évidence l’art du comédien, le dépouillement le plus absolu, le plateau nu… En véritable esthète et en fastueux mécène, Jacques Rouché  voulait faire naître la représentation théâtrale des talents conjugués de l’auteur, du décorateur, des costumiers et des comédiens.

Aussi s’entoura-t-il d’un aréopage d’artistes peintres qui comptait,  notamment : Albert Besnard, Maurice Denis, Maxime Dethomas, Pierre Laprade, René Piot, André Saglio, Edmond Vuillard.
Si bien que durant trois saisons, le Théâtre des Arts à qui d’Humières avait donné ses lettres de noblesse, brilla d’un tel éclat que son Directeur fut nommé en Octobre 1913 à la Direction de l’Opéra.
Il avait eu le temps d’enchanter son public avec Le Carnaval des enfants de Saint Georges de Bouhelier, avec Les Frères Karamazov dans l’adaptation de Copeau et Jacques Croué, dont Charles Dullin fut l’inoubliable Smerdiakov, avec Le Pain d’Henri Ghéon où s’illustraient Roger Karl, Charles Dullin et Louis Jouvet (sic), avec Ma Mère l’ Oye de Maurice Ravel dans les décors de Dréa, avec La Profession de Madame Warren et On ne peut jamais dire de George Bernard Shaw, avec La Nuit persane de Jean-Louis Vaudoyer qui serait, 30 ans plus tard, l’Administrateur de la Comédie-Française, avec la reprise de Les Aveux indiscrets de Monsigny, et Le Festin de l’araignée Ballet de Gilbert Voisin, musique d’Albert Roussel, décors de Dethomas.

8 – Le théâtre durant la grande guerre

Irénée Mauget, homme de théâtre de plein air allait lui succéder. Il avait l’ambition de représenter sans chercher le succès, des ouvrages inédits et hardis, (du théâtre d’art et d’essai avant la lettre), ce qu’il fit, jusqu’au 3 Août 1914, date à laquelle le spectacle déserta les scènes au profit des rues et de la gare de l’est où la liesse était générale, car la victoire était annoncée pour le lendemain… Elle se fit attendre.

La fermeture du théâtre dura quatre ans avec de brèves ouvertures pour des représentations de bienfaisance, ou,  comme ce fut le cas en 1915, pour une tentative avortée de faire du Théâtre des Arts une fois encore rénové, un Music Hall dévolu à la troupe du Moulin Rouge qui avait brûlé.

Et voici venir la direction de Rodolphe Darzens, poète, auteur dramatique ; il avait écrit L’Amante du Christ, homme de sport, ex-secrétaire des Folies Bergères, ex-collaborateur d’Antoine, ex-phénomène forain, ex-boxeur, ex-marchand de cycles d’occasion, que pendant seize ans, si l’on en croit la rumeur,  les habitants du quartier verront faire, après le spectacle, le tour des cafés avoisinant le théâtre, y ramasser les déchets de nourriture destinée à ses lapins et se fondre dans les ténèbres, un bissac sur l’épaule.

Rodolphe Darzens succédait en fait à un officier britannique, qui, sans droit, squattait le théâtre pour y présenter à ses compatriotes permissionnaires les œuvres cinématographiques du moment.
C’est la condamnation aux travaux forcés de cet officier indélicat qui permit à Darzens d’obtenir le bail du Théâtre pour une bouchée de pain.
Il n’était d’ailleurs pas seul. Sous les auspices d’Adolphe Adérer, et de Mathias Morhardt, attachés à la rédaction du Temps, une coopérative d’écrivains s’était formée dont il était le fondé de pouvoir et le comptable. (Hélas, dira l’un des coopérateurs…)
François de Curel, Jules Romains, Lucien Descaves, Saint-Georges de Bouhelier, Henri-René Lenormand étaient les principaux membres de cette coopérative, et ce sont eux, bien entendu, qui devaient assurer la programmation.
L’échec immédiat, dès la quatrième représentation du premier spectacle, et l’impréparation de celui qui allait suivre incita les coopérateurs à faire appel à une compagnie genevoise, composée exclusivement de comédiens russes, qui jouaient en Suisse une pièce de l’un d’entre eux.

9 – Les Pitoëff 1919-1927

Ce fut pour Georges et Ludmilla Pitoëff  leur première aventure parisienne.
C’est à jamais, pour le théâtre qui les reçut, un titre enviable à notre reconnaissance.
« En deux heures de la maussade journée du 2 Décembre 1919, avec Le temps est un songe de H.R Lenormand, les Pitoëff avaient conquis Paris ».

Ils reviendront en 1920 avec Les Ratés du même auteur, puis début 1921 pour une tournée dans trois salles parisiennes, avant d’aller s’installer à la Comédie des Champs-Élysées que dirigeait de main de maître un ambitieux normand nommé Jacques Hébertot.

Ils devront quitter les Champs-Élysées début 1924 et en Octobre de la même année, sous-loueront le Théâtre des Arts à Rodolphe Darzens, délivré de ses coopérateurs et bien incapable d’exploiter lui-même  cette scène que d’autres avaient rendue célèbre. Les Pitoëff programmeront le Théâtre jusqu’en Juillet 1927, date à laquelle ils quitteront les « Arts » pour rejoindre Jacques Hébertot aux « Mathurins ».

Ils reviendront d’Octobre 1928 à Juillet 1931. Ils y monteront notamment Henri IVComme ci ou comme ça de Pirandello, Sainte Jeanne de Shaw, L’Ami en peine de J.J Bernard, L’Amour africain de Mérimée,  Et Dzim la la de Marcel Achard, Jean le Maufranc de Jules Romains, Hamlet,  Le Marchand de regrets de Crommelynck, Orphée de Jean Cocteau avec Marcel Herrand, Le Miracle de Saint Antoine de Maeterlinck, Le Cadavre vivant de Tolstoï, César et Cléopâtre de Shaw, Les Trois Soeurs de Tchekhov, Le Singe velu de Eugene O’Neill, Les criminels de Bruckner.
Chancerel , dont ils monteront La Magie, révélera que le théâtre leur était loué 390.000 F alors que Darzens le payait lui-même 90.000 F.

10 – Le Théâtre des Arts de 1927 à la guerre

Comment dans ces conditions apprécier le travail de ce directeur surnommé le « Seigneur des Batignolles », ou moins aimablement celui du « Théâtre des Arrhes » ?
Eh bien, il semble que le succès de sa direction doive tout, aux coopérateurs, aux Pitoëff et aux comédiens du Marais.
Monsieur Darzens, faisait la plupart du temps ce qu’on appelle aujourd’hui du garage, c’est-à-dire qu’il faisait financer par les troupes qu’il recevait les expériences auxquelles elles se livraient, n’assumant lui-même aucun risque, mais thésorisant au contraire, sur le dos de ses courageux interprètes.

Il faut pourtant dire à sa décharge qu’il fut un véritable amoureux de l’art dramatique, et qu’en l’absence de moyens, si toutefois il ne disposait pas de moyens, il a tenu la scène du Théâtre des Arts à la disposition d’entreprises d’une très grande qualité.
Ont en effet foulé le plateau des Batignolles durant cette période, outre les Pitoëff, Charles Dullin, Louis Jouvet, Sylvie, Arquillière, Harry Baur, Eve Francis, Michel Simon, Madeleine Carlier, Marcel Herrand.

Étrange directeur que ce Rodolphe Darzens, qui avait posé, pour recevoir les premières visites de l’encaisseur des billets d’auteur, son révolver sur la boite à sel, qui trichait aussi souvent qu’il le pouvait sur les créances qui lui étaient présentées, aussi bien que sur les contrats des troupes qu’il recevait.

Ce personnage vieilli, menacé de cécité, abandonnera en 1935 la direction du Théâtre des Arts à Jean de Turenne qui procédera d’abord à une restauration générale en vue de l’exposition universelle de 1937. Il accueillera ensuite la compagnie Le Relais dirigée par Dapoigny et Julien Bertheau, puis la troupe du Jeune Colombier qui donnera La Mandragore de Machiavel. Il  montera Henri Bauche, Éblouissements de Keith Winter et Constance Coline, Les Innocents de Lilian Hallman. En Octobre 1937, il cédera le flambeau à André Moreau, ancien collaborateur de Louis Jouvet, dont le souvenir est lié à Sixième Étage  d’Alfred Gehri, et à Sur les Marches du Palais  de Jean Sarment.

Le Théâtre des Arts vécut alors sa troisième déclaration de guerre.  André Moreau ferma ses portes en Septembre.

André Barsacq tenta huit mois plus tard de redonner vie à un mélo que Jean Anouilh avait quelque peu dépoussiéré. Malgré Serge Reggiani, Roger Blin et Monelle Valentin, l’expérience tourna court.
Les portes du Théâtre allaient pourtant s’ouvrir à nouveau en Novembre 1940.