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Jacques Hébertot

Auteur, journaliste, directeur des Théâtres des Champs-Elysées, des Mathurins, de l'Oeuvre et de l'Hébertot.

pseudonyme d’André Daviel (Rouen 1886 – Paris 1970)

Poète, Jacques Hébertot fonde à Rouen en 1908 le Théâtre d’Art Normand. Il gagne Paris et devient journaliste, éditeur de musique, puis critique dramatique.
Pour y présenter les tout nouveaux Ballets Suédois, il prend en 1920 la direction des Théâtres des Champs-Élysées. Très vite, il affirme ses qualités d’organisateur et de protecteur d’un théâtre dont l’exigence de qualité et de modernité marquera toute sa carrière.

En 1922, il installe Georges Pitoëff à la Comédie ; il engage Louis Jouvet en qualité de directeur technique de ses deux salles. Toutes les expressions de l’art pictural, des plus traditionnelles aux plus hardies, se retrouvent sur les plateaux des Champs-Élysées : Pablo Picasso, Picabia, Christian Bérard, Salvador Dali, Fernand Léger accompagnent les ballets les plus audacieux, les opéras les plus nouveaux. La programmation de la Comédie des Champs-Élysées, puis celle du Studio, d’abord galerie de peinture, devenu sous la direction de Jacques Hébertot Théâtre d’Art et d’Essai, n’est pas moins exceptionnelle puisqu’on y applaudira Lugné Poë, Dullin, Baty, Pitoëff, Jouvet…

Le complexe de l’avenue Montaigne constituera de 1920 à 1925 le foyer international des arts modernes. Les vedettes du monde entier viennent aux Champs-Élysées chercher leur consécration, celles dont aujourd’hui la carrière vit encore dans notre souvenir, ont eu l’opportunité de s’y révéler.

Passionné de journalisme, Jacques Hébertot fonde les magazines MonsieurLa Danse et reprend la direction de Comœdia illustrée et de Paris-Journal. Ces audaces qui avaient fait durant cinq saisons le bonheur des amateurs de spectacles de toutes nationalités, Jacques Hébertot allait les payer de quinze ans de purgatoire.

Ruiné par tant de faste, il quitte les Théâtres des Champs-Élysées, avant de prendre en 1936 la direction du Théâtre des Mathurins puis du Théâtre de l’Œuvre (1938), enfin du Théâtre des Arts en 1940 dont il fera le Théâtre Hébertot – Théâtre de l’Élite. Il y présentera la plupart des œuvres marquantes des années 40 à 70, en privilégiant les grands textes ; il a ainsi encouragé la création d’oeuvres de Jules Romains, Pirandello, Giraudoux, puis de Claudel, Camus, Cocteau, Mauriac, Bernanos, Montherlant, Maulnier, Malraux…

Parallèlement il fonde l’hebdomadaire Artaban et reprend en main le Casino de Forges-les-Eaux et son théâtre. Jusqu’à la fin, il se passionne pour la création des œuvres nouvelles, Duras, Beckett, Pinter… Lorsqu’en Juin 1970 il dut « rendre les armes », il aurait pu s’enorgueillir d’avoir présenté, les 30 dernières années de sa vie, les œuvres de 11 Prix Nobel de littérature (9 avant leur consécration), et de nombreux Académiciens français.

Repères chronologiques

28 Janvier 1886 : Naissance à Rouen d’André Daviel
Le père est Avoué à la cour. Le frère aîné d’André – Jacques, né en 1876 – reprendra la charge.
La famille compte parmi ses ancêtres l’illustre médecin Jacques Daviel, ami de Diderot et surtout premier chirurgien à avoir pratiqué l’opération de la cataracte.

Études à Rouen, à l’Institution Join – Lambert, puis dans divers collèges de la région parisienne.

1903 : Premiers poèmes. André Daviel devient Jacques Hébertot. Sa Ballade pour le rachat de la maison de Corneille est primée par La Revue Normande et Picarde.
1904 : Entre deux tours de valse, un « marivaudage en un acte » est créé à Rouen, au Théâtre Français, place du Vieux Marché.
Octobre 1905 : il fonde L’Âme Normande, revue régionaliste qui paraîtra jusqu’en 1911.
1908 : Il fonde le Théâtre d’art régional normand.
6 Mars 1909 : création de sa seconde pièce La Terre qui chante au grand Théâtre du Havre.
Décembre 1910 : il publie un recueil de poèmes, Poèmes de mon pays (Éditions Falguière, Paris).
Septembre 1911 : il est engagé à la rubrique théâtrale du Gil Blas. Fin de l’activité régionaliste.
Février 1912 : tournée de conférences en Scandinavie sous les auspices de l’Alliance Française.
Séjour marquant. De retour en France, il fréquente assidûment les artistes scandinaves de Paris, dont le peintre Nils de Dardel, ami intime d’un richissime jeune suédois, Rolf de Maré.
Juin 1912 : son Polyphème victorieux, une tragédie « à l’antique » est créé aux arènes de Nîmes.
Guerre 1914 – 1918 : Mobilisé dès le mois d’Août 1914, alors qu’il est journaliste à Gil Blas, il est affecté au 81ème Régiment d’Artillerie lourde – 5ème groupe. Maréchal des Logis, il commande les convois de munitions sur des routes bombardées ou mitraillées par les avions ennemis jusqu’aux batteries de son groupe, sur la Somme, en Champagne et à Verdun. Son courage et sa bravoure ont fait l’objet d’une citation l’ordre du Régiment le 15 septembre 1917.

Immatriculé sous le numéro 1112195, il sera décoré de la Croix de Guerre.

Juillet 1919 : Son destin bascule. Responsable d’une tournée théâtrale organisée en Scandinavie pour le compte du ministère des Affaires Etrangères, il rencontre à Stockholm Rolf de Maré et le compagnon de celui ci, le danseur Jean Börlin. Rolf de Maré lui propose de prendre en charge l’installation à Paris des Ballets suédois.

Automne 1920 : Jacques Hébertot prend la direction de l’ensemble des Théâtre des Champs-Élysées (Grand Théâtre et Comédie Montaigne) qui, sous sa houlette, va devenir pendant quatre ans, non seulement le port d’attache des Ballets Suédois mais aussi le centre d’une activité artistique exceptionnelle, notamment dans le domaine théâtral puisqu’il attire auprès de lui les plus grands animateurs du moment.

Avec : 1920-1921 : Firmin Gémier dont l’assistant est Gaston Baty

En Février 1922 : l’installation de Georges et Ludmilla Pitoëff à la Comédie suivie de celle de Louis Jouvet en Octobre 1922
Les deux metteurs en scène animeront en alternance la Comédie
La construction du Studio des Champs-Élysées en 1923, à vocation « expérimentale » qui sera confié au jeune Gaston Baty.

Ci-dessous , quelques dates de cette première grande période du « Magicien » Jacques Hébertot :

Ballets Suédois (Théâtre des Champs-Élysées )
Juin 1921 : Les Mariés de la Tour Eiffel  Jean Cocteau / Francis Poulenc / Darius Milhaud / Georges Auric / G.Tailleferre

Juin 1921 : L’Homme et son désir Paul Claudel / Darius Milhaud

Octobre 1923 : La création du Monde Blaise cendrars / Darius Milhaud / Fernand Léger Novembre 1924 : Relâche ( Francis Picabia / Erik Satie )

Comédie des Champs-Élysées
1922 : La Mouette ( Anton Tchekhov / mise en scène de Georges Pitoëff )
10 avril 1923 : Six personnages en quête d’auteur ( Luigi Pirandello / mise en scène Georges Pitoëff )
14 mars 1923 : M. Le Trouhadec saisi par la débauche ( Jules Romains / mise en scène Louis Jouvet )
14 décembre 1923 : Knock ( Jules Romains / mise en scène Louis Jouvet )

Galerie Montaigne dont il fera le Studio
1ère Exposition Modigliani puis de Jean Crotti. Premières manifestations Dada.

Studio des Champs-Élysées
Mai 1924 : Maya (Simon Gantillon / mise en scène Gaston Baty )

Autres spectacles au Théâtre des Champs-Élysées
1922 : Théâtre d’art juif de Vilnius
1922 et 1923 : Théâtre Artistique de Moscou (C. Stanislavsky )
1923 : Théâtre Kamerny ( avant-garde russe)
1922 : Tristan ( Tullio Serafin / orchestre et chœur du Théâtre Regio de Turin )

Décembre 1922 : création française du Pierrot Lunaire (Concerts Jean Wiener)

Parallèlement, il crée deux revues, La Danse et Monsieur, et reprend Comoedia dont il fait Théâtre et Comœdia Illustré ainsi que Paris-Journal où son secrétaire n’est autre que Louis Aragon, la rubrique cinéma étant confiée à René Clair. Très vite il installera l’impression dans l’enceinte du théâtre.

Janvier 1925 : À la suite de déboires financiers, Hébertot abandonne la direction du TCEIl cède ses parts de la Comédie à Louis Jouvet et se brouille définitivement avec Rolf de Maré.

1925 – 1936 :
Jacques Hébertot crée une affaire de disques. Il s’installe au 36 de la rue Vignon. Il vend des phonographes, des postes de radio et propose un catalogue d’une centaine de disques où voisinent marches de Chouans, chansons des Camelots du Roi et refrains des Croix de Feu.
Il enregistre les premiers disques des Petits Chanteurs à la Croix de Bois.

1936-1940
Dès 1936, auprès des Pitoëff à la Direction du Théâtre des Mathurins avec notamment une célèbre reprise de Six personnages en quête d’auteur de Pirandello et la création de L’Ennemi du Peuple de Henrik Ibsen.
À la mort de Georges Pitoëff, Ludmilla Pitoëff cède les Mathurins à Marcel Herrand et Jean Marchat. Jacques Hébertot, à la demande de Paulette Pax, vient soutenir cette dernière à la direction du Théâtre de l’Œuvre pendant deux années.

Automne 1940 : Il reprend le Théâtre des Arts, Boulevard des Batignolles et le rebaptise Théâtre Hébertot. S’ouvre alors pour cet homme de 54 ans une très grande période qui durera près de 30 ans que l’on peut scinder en deux époques : 1940-1955 et de 1955 à 1970.

Dates principales :
Décembre 1940 : La Dame aux Camélias d’Alexandre Dumas Fils avec Edwige. Feuillère et Pierre Richard-Wilm.

11 octobre 1943 : création de Sodome et Gomorrhe de Jean Giraudoux avec Edwige Feuillère et les débuts à la scène et la révélation de Gérard Philipe

16 septembre 1945 : création de Caligula de Albert Camus avec Gérard Philipe, Georges Vitaly, Michel Bouquet et Margo Lion.

16 avril 1946 : création en France de Des Souris et des Hommes d’après le roman de John Steinbeck, adaptation de Marcel Duhamel.

5 octobre 1946 : création à Paris de L’Aigle à deux têtes de Jean Cocteau d’abord créé à Bruxelles avec Edwige Feuillère, Jean Marais et Silvia Monfort.

26 janvier 1948 : création de Le Maître de Santiago de Henry de Montherlant avec Henry Rollan et Anne Vercors.

12 mars 1948 : L’Annonce faite à Marie de Paul Claudel dans la version définitive à la scène dédiée à Jacques Hébertot avec Hélène Sauvaneix, Alain Cuny, Robert Hébert.

14 Décembre 1949 : création de Les Justes de Albert Camus avec Maria Casarès, Michel Bouquet, Serge Reggiani.

11 octobre 1950 : création à Paris de Le Feu sur la Terre de François Mauriac d’abord présenté à Lyon avec Jany Holt

23 mai 1952 : création de Dialogue des Carmélites de Georges Bernanos, adaptation de Marcelle Tassencourt avec Hélène Vercors, Tania Balachova, Mona Doll.
Vente de sa propriété familiale normande de Beaumoucel. Il rachète et reconstruit le Casino de Forges les Eaux dont il veut faire un centre culturel international normand.

16 octobre 1953 : création de La Maison de la nuit de Thierry Maulnier avec Pierre Vaneck, Roger Hanin, Michel Vitold, Marcelle Tassencourt.

26 octobre 1954 : création de Balmaséda de Maurice Clavel mise en scène de Marguerite Jamois, avec en première partie Le Retour de l’enfant prodigue de André Gide.

6 décembre 1954 : création de La Condition Humaine d’ André Malraux , adaptation de Thierry Maulnier, avec Lucien Nat, Jean Parédès, Roger Hanin, Jacques Dufilho.

Mai 1955 à Juin 1970 Deuxième partie de sa Direction du Théâtre :
11 décembre 1955 : reprise de L’Éventail de Lady Windermere de Oscar Wilde mise en scène de Marcelle Tassencourt avec Pierre Vaneck, Françis Perrot et Marie-France Planèze

15 juin 1956, reprise de En attendant Godot de Samuel Beckett, mise en scène de Roger Blin.

18 janvier 1957 : création de La Nuit Romaine de Albert Vidalie, mise en scène de Marcelle Tassencourt avec Roger Hanin, Claude Génia et Jacques Dufilho.
Création du journal Artaban.

28 février 1958 : création et triomphe de Procès à Jésus de Diégo Fabbri avec Françoise Spira, Jean Marie Amato, Dora Doll

Fin 1959: Liquidation de Forges les Eaux.

21 novembre 1959 : création de Long Voyage vers la nuit de Eugène O’Neill avec Gaby Morlay, Jean Davy, Pierre Vaneck

2 décembre 1960 : création de Le signe du feu de Diégo Fabbri adaptation de Thierry Maulnier, mise en scène de Marcelle Tassencourt,
10 septembre 1961 : création de Miracle en Alabama de William Gibson adaptation de Marguerite Duras et Gérard Jarlot avec Françoise Spira et François Maistre.

12 octobre 1963 : création de La Reine Verte de Maurice Béjart, musique de Pierre Henri avec Maria Casarès et Jean Babilée

2 décembre 1964 : création de Cet Animal Étrange de Gabriel Arout d’après Tchekhov mise en scène de Claude Régy avec Delphine Seyrig et Jean Rochefort, les rôles seront repris par Maurice Garrel et Martine Sarcey.

27 septembre 1965 : création de La Collection et de L’Amant de Harold Pinter adaptation de Eric Kahane avec Delphine Seyrig, Michel Bouquet, Jean Rochefort, Bernard Fresson dans la mise en scène de Claude Régy.

19 octobre 1966 : grande reprise de Les Trois Sœurs de Tchekhov mise en scène de André Barsacq avec les trois sœurs Polliakoff, Marina Vlady, Odile Versois, Hélène Vallier.

22 janvier 1968 : reprise de la pièce de Thonrton Wilder Notre Petite Ville dans la mise en scène de Raymond Rouleau.

25 septembre 1969 : création de la pièce de Diégo Fabbri Bienheureux les Violents avec Geneviève Fontanel, Jacques Mauclair et Jean Leuvrais

Jacques Hébertot meurt à Paris le 19 Juin 1970.

Jacques Hébertot, synthèse d’une vie consacrée à l’art théâtral :

« Le Théâtre Hébertot a éveillé et accueilli trop de concours pour que son rayonnement demeure réservé à la renommée d’un seul. Le Théâtre Hébertot est l’aboutissement d’un effort collectif d’auteurs, de musiciens, de peintres et de professionnels du spectacle. Il dépasse Paris et les Provinces. Il déborde les trois salles de l’avenue Montaigne, laisse, en passant, un souvenir aux Mathurins, unit durant deux années ses destinées à celles du Théâtre de l’Œuvre et s’épanouit aux Batignolles. Demain le verra peut-être s’adonner à des essais de laboratoire. International dans son essence, le moment ni le temps ne sont venus de lui assigner sa place ou de déterminer son rôle dans notre patrimoine culturel, mais à Paris, en France, comme en Amérique, en Angleterre, en Allemagne, en Italie, dans les pays scandinaves, il dépend d’un public qu’il serait injuste de ne pas associer à cet effort, public qui, malgré intervalles et éclipses, reste fidèle à ce mouvement dont la qualité de l’éclectisme l’ont conquis. Il appartiendra à d’autres, aujourd’hui – ou plus tard – d’écrire l’histoire de cet effort qui porte sur trente années. Pour nous, le moment nous semble opportun d’en dresser l’inventaire comme dans les maisons bien tenues. À dessein, il aura la sécheresse d’un bilan et la sincérité d’une expertise. La place seule en mesurera le détail. »

JACQUES HÉBERTOT
Extrait du programme du spectacle Le Cocu magnifique de Fernand Crommelynck, janvier 1969.