Retour

Robert Thomas

par Jean-Jacques BRICAIRE

Retour

Robert Thomas * Collections A.R.T.

ou
La Joie de vivre entre deux meurtres

Au moment où les pièces policières avaient pratiquement disparu des scènes parisiennes, Robert Thomas est apparu. Sa première pièce, Piège pour un homme seul, connut immédiatement un triomphe, ouvrit à son auteur les portes des théâtres et permit la réhabilitation des comédies policières.

1. Une vocation précoce
2. Des débuts difficiles
3. Un triomphe foudroyant
4. Le Directeur de théâtre et le producteur de cinéma
5. Analyses et critiques de quelques pièces
6. Oeuvres dramatiques
7. Extrait de « Piège pour un homme seul »

1. Une vocation précoce

Robert Thomas est né à Gap le 28 septembre 1930. Il y passera son enfance et son adolescence au milieu d’une famille de bourgeois pantouflards. Ce vilain petit canard, égaré au milieu d’assureurs casaniers se sent très vite pris de passion pour le théâtre et, pour apaiser sa fringale, dévore les pièces parues dans  La Petite Illustration. Il en apprend des scènes et monte, avec quelques amateurs, une représentation de Gringoire de Théodore de Banville, où il joue Louis XI.  Il est la vedette chantante de la famille. « Ce petit, il faudrait lui faire faire le Fernandel » disait sa mère en le voyant monter sur la table après les repas de famille et chanter à en perdre le souffle. (1) Mais ces exhibitions ne peuvent que le convaincre que son destin l’appelle à Paris, car c’est dans la capitale que se joue la vie théâtrale. N’y tenant plus, juste avant de passer la deuxième partie du bachot, il fait comme ses futurs confrères qui l’ont précédé, il  monte à Paris en laissant un petit mot sur la table de la cuisine:  « Si vous me faites rechercher,  je me jette sous le train ».

Comme ses aînés, il va connaître l’époque de la vache enragée, mais rien, jamais, ne détruira cet incurable optimisme qui l’habitera toujours. C’est un homme né  joyeux et heureux de vivre. « Ce dont je suis sûre, c’est qu’il est un des rares hommes profondément heureux de vivre. Cet amour de la vie, cette foi inébranlable dans son étoile est peut-être le secret de son charme et de sa réussite. Son désir d’arriver est tellement sympathique, tellement ardent, que les plus farouches s’attendrissent ».(2) Pour subsister, il est employé aux PTT en qualité de télégraphiste, ce qui ne l’empêche pas de suivre les cours de comédie de Georges Dollin, Yves Furet et André Brunot, ni de jouer un petit rôle au Théâtre Edouard VII dans Le Gâteau du roi de Marcelle Capron. « J’ai connu à cette époque trois années où se mêlaient la vantardise et la misère cachée, au régime de la chambre de bonne et du café-crème pour tout repas. J’étais parfois invité à des dîners pour faire le clown au dessert parce qu’on me trouvait drôle, et je mangeais alors pour quatre jours ».. (3)

Mais le service militaire le guette. À la fin de celui-ci, il effectue des démarches dans les théâtres et se rend notamment au Théâtre de Paris où il rencontre l’Administrateur-Sécrétaire général Jean-Jacques Bricaire. « Un jour, j’ai vu débouler dans mon bureau un troufion venu solliciter un engagement. Il était doté d’un culot phénoménal qu’il savait utiliser avec finesse en jouant la carte de la sympathie et du comique. Un bidasse, c’est toujours attendrissant – c’est d’ailleurs pour cette raison, le petit malin, qu’il s’était présenté en uniforme – et comme nous cherchions une doublure à Christian Duvaleix dans la comédie musicale « Il faut marier maman », je présente mon client à Pierre Dux qui l’engage. Il fera également partie d’un des spectacles suivants dans lequel il jouera un petit rôle  La Main de César… C’était Robert Thomas ».. (4)

(1) Interview de Robert THOMAS par Nicole JOLIVET – Avant-Scène n° 423 du 1° avril 1969.
(2)
Claude GENIA – Avant-Scène n° 268 -1° juillet 1962
(3)
Interview de Nicole JOLIVET
(4)
Jean-Jacques BRICAIRE –  L’Autre côté du décor  Éditions des Quatre Vents.

2. Des débuts difficiles

Après  La Main de César, il faut toujours vivre, et il mène durant trois ans une carrière de trial dans des revues et opérettes, à Paris et surtout en province ( Princesse Czardas, Miss Heliett, NoNo Nanette ) Dans le même temps, il ne cesse d’écrire des pièces et se fera la main sur une dizaine de sujets avant d’être joué. Il participe à une revue de Max Revol au cabaret Eve, où il fait un numéro comique avec Sophie Daumier et Henri Garcin, figure au cinéma dans Les Grandes manœuvres et L’École des Cocottes, tient le rôle du domestique de Dany Robin dans Le Secret du Chevalier d’Éon, et joue un petit rôle dans La Guerre du sucre aux Bouffes Parisiens. Il reprend un rôle dans Les Belles Bacchantes de Robert Dhéry au Théâtre Daunou, spectacle burlesque qui connaît une carrière triomphale.

Mais ses plus grands succès d’auteur ne lui feront jamais oublier son premier métier de comédien, et il brûlera toujours du désir de monter sur les planches. Il reconnaîtra que c’est là qu’il connaît le vrai bonheur. L’occasion lui en sera offerte lors des représentations de Piège pour un homme seul. Christian Alers, qui interprète le rôle principal se révèle, un après-midi, dans l’impossibilité d’assurer la représentation de la matinée.  «Affolement… Jacques Charon me consulte. Je lui proposai de remplacer aussitôt Alers. Je ne dis pas que, trois heures après, le comédien Robert Thomas respecta précisément le texte de l’auteur Robert Thomas mais, pour le public, la représentation dût paraître normale. Depuis, j’ai appris le texte scrupuleusement». (5) Le coup de tonnerre de Piège pour un homme seul, dont l’histoire va suivre, Robert Thomas avait réussi à faire jouer deux de ses comédies à Enghien et à Nice : la première version de Huit Femmes et Madame Trait d’union, ainsi que Que le diable l’emporte, pièce montée par Christian Alers à son  Club du théâtre des quatre jeudis.

Il semble utile de consacrer quelques lignes à ce club très particulier. Alers avait eu l’idée de fonder un club de théâtre sur les bases suivantes : le client qui s’y inscrivait versait une cotisation annuelle et pouvait, en retour, assister aux cinq spectacles montés spécialement pour le Club. L’idée était intelligente et généreuse, mais, au fil des années, son exploitation a largement contribué à la ruine de son initiateur. Tout d’abord, il n’a jamais été possible de réunir un nombre suffisant d’abonnés, le Français n’aimant pas assez le théâtre, et la gestion  alersienne, aussi débridée, généreuse et farfelue ne pouvait que conduire à la faillite. On peut dire qu’Alers a été victime de son amour du théâtre, de sa marotte d’innovation et de son manque d’organisation. Que le diable l’emporte est donc créé sous l’égide du  Club du théâtre des quatre jeudis  au théâtre Gramont, et connaîtra une douzaine de représentations, avec Christian Alers, Renée Devillers et Anne Wartel.

(5) Interview de Robert Thomas par Paul-Louis MIGNON – L’Avant-Scène n° 268 du 1er Juillet 1962

3. « Piège pour un homme seul », un triomphe foudroyant

Pour en revenir à Piège pour un homme seul, la réception de la pièce et sa distribution relèvent de l’aventure la plus folle que pourrait rêver un auteur dramatique. Robert Thomas dépose la brochure aux Bouffes-Parisiens à l’attention de Jacques Charon, directeur artistique du théâtre. Ce dernier, qui prenait connaissance de tous les manuscrits qui lui étaient adressés, lit la comédie et décide de la monter sans attendre, le théâtre étant libre de tout engagement et à la recherche d’un spectacle. Il demande à Thomas quelle serait, selon lui, la distribution idéale. C’est en effet ainsi qu’on procède. On met en face de chaque personnage le nom de l’acteur idéal et on recherche ensuite celui ou celle qui se rapproche le plus du comédien souhaité. C’est alors que la chance continue de sourire à Thomas, cette chance qui ne le quittera plus jamais. Il suggère : Christian Alers, Gaby Sylvia, Palau, Jacques Morel, Marcel Cuvelier et Françoise Fleury et… Miracle, tout ce joli monde est libre. Le succès est à ce point foudroyant que la pièce est vendue en quatre semaines dans à peu près toutes les capitales européennes, et traduite en quinze langues.

Un impresario américain achète les droits pour Broadway où Greer Garson doit reprendre le rôle créé par Gaby Sylvia, tandis qu’un représentant de la Fox acquiert les droits cinématographiques pour vingt millions de francs (somme astronomique à l’époque) en vue du film que doit en tirer Alfred Hitchcock, mais qui ne sera jamais tourné, en raison du décès du metteur en scène. Dès lors, les projets affluent et les réalisations aussi. Robert Thomas signe les dialogues d’un film que Franju doit tourner d’après un roman de Boileau-Narcejac, puis écrit Snack-bar, avec Claude Boissol et Jacques Robert.

Après Piège, Thomas réussit un beau doublé avec Huit Femmes, pièce dont la distribution, comme le titre l’indique, ne comporte que des femmes. C’est à nouveau un très authentique succès, créé au théâtre Edouard VII le 28 août 1961. La pièce est mise en scène par Jean Le Poulain, décor de Roger Harth, son de Fred Kiriloff, robes de Jo Poulard, ce qui a permis au  Canard Enchaîné  de titrer sa critique : «  Huit Femmes… elles sont treize », aucun de ses collaborateurs, l’auteur compris, n’étant porté sur le beau sexe. Robert Thomas était en effet homosexuel, et partageait sa vie avec Jo Poulard qu’il avait rencontré lors de son service militaire. Ils ne se quitteront plus, et formeront un couple d’une parfaite fidélité, jusqu’à la disparition de l’un d’eux. Ils évoquaient très drôlement leur  mariage  à Saint-Honoré d’Eylau. Ils étaient entrés dans l’église à l’occasion d’une cérémonie nuptiale, et étaient restés dans le fond, participant de loin à tous les rites qu’ils imitaient scrupuleusement, y compris la remise des alliances et les bénédictions. Huit Femmes avait été auparavant créée à Enghien, sélectionnée au concours du Festival d’Art Dramatique. Mais l’épreuve de la scène a permis à l’auteur de refondre considérablement sa pièce avant de la présenter à Paris. Elle remportera le prix du Quai des Orfèvres 1961-62 .

Le metteur en scène François Ozon, en 2002, en tirera un film dans lequel chaque comédienne interprétera une chanson. Il spécifiera : «  de la pièce, je n’ai retenu que la situation et l’intrigue policière que j’ai simplifiée » . On pourrait lui rétorquer que cette situation et cette intrigue qu’il semble traiter avec désinvolture constituent l’essentiel de la pièce de Robert Thomas.

Les comédies vont alors se suivre à un bon rythme. On en contera quatorze, qui connaîtront des fortunes diverses. Le Deuxième coup de feu (d’après un roman de Ladislas Fédor) avec Pierre Dux, Huguette Hue et Lucien Baroux, connaît un nouveau succès et une bonne presse, mais sans commune mesure avec les deux pièces précédentes. La critique parlera néanmoins  d’aventure shakespearienne  et reconnaîtra la maîtrise et l’habileté de l’auteur dans la construction de l’intrigue policière.

Assassins Associés qui succède au Deuxième coup de feu marque un tournant dans l’œuvre de l’auteur, car il s’agit d’un vaudeville policier, presque plus vaudeville que policier. C’est la création d’un club d’assassins. Un baron souhaite voir disparaître sa femme, un journaliste désire en faire autant, et un cafetier souhaite la mort de sa sœur. Le but de l’association sera que chaque assassinat soit sans motif, chacun tuant la tortionnaire d’un autre. Il n’y a ni mystère ni recherche de coupable. Les péripéties se dérouleront sous les yeux du public, et la pièce se terminera par une véritable hécatombe. Un grand succès.

En 1966, Thomas, qui n’est jamais à court d’idées, a celle de réunir à la scène le couple célèbre de l’émission radiophonique Sur le banc, Jane Sourza et Raymond Souplex. L’action se situe dans une étude notariale. La standardiste, bavarde comme il n’est pas permis (la perruche) découvre son patron poignardé. Le temps que la police arrive sur les lieux, le cadavre a disparu. L’inspecteur de police (le poulet) doute du crime, mais s’apercevra que la perruche avait raison. Ensemble, ils arrêteront le coupable. La Perruche et le poulet connaîtra, cette fois encore, un joli succès, grâce en partie aux deux protagonistes aimés du public et pour lesquels les rôles étaient taillés sur mesure

4.  Le Directeur de théâtre et le producteur de cinéma

La pièce suivante marquera le retour au théâtre d’une grandissime vedette, Fernandel, qui précisera que s’il revient à la scène, c’est parce qu’il ne se sent plus en accord avec ce qu’est devenu le cinéma. Là aussi, c’est un rôle écrit sur mesure. Freddy, clown et directeur de cirque désargenté fuit une vieille bailleuse de fonds qui voulait être remboursée en nature. Elle est assassinée. Freddy est soupçonné. Son fils lui conseille alors de s’accuser du crime afin qu’il apparaisse au premier rang de l’actualité et que le cirque soit sauvé. C’est le retour à l’intrigue policière et à la recherche du coupable. Critique mitigée.
On reste dans le policier pur avec Un ami imprévu, d’après Agatha Christie. Une histoire de meurtre agrémentée de rancœurs familiales et de problèmes d’héritage. C’est du policier classique : un lieu clos, des gens bien, chacun ayant une raison d’avoir tué, dans la maison perdue et mystérieuse.

Double Jeu utilise le thème des jumeaux sous forme de divertissement policier. La presse est favorable, sans plus. Pourtant, là encore, Thomas a su introduire un ton original et prouver que la comédie policière pouvait ne pas être réservée aux seuls auteurs anglo-saxons, tout en mariant heureusement le suspense, au style typiquement français et joyeux. La Chambre mandarine, créée le 18 octobre 1974, renouvelle le genre. C’est une pièce à sketchs qui raconte huit histoires différentes qui se sont déroulées toutes dans les murs de la chambre couleur mandarine. C’est la même actrice et le même acteur qui jouent les rôles principaux de ces aventures. En l’occurrence Micheline Boudet et Christian Alers. La presse sera excellente pour la pièce et saluera la performance des deux comédiens.

On peut constater que cette Chambre marque la fin du règne de Robert Thomas. Il faudra en effet attendre 1978 pour que l’auteur reparaisse à l’affiche. Il a écrit une comédie policière comme à son accoutumée, Les Bâtards, mais qui a l’originalité d’être interprétée par un seul comédien qui jouera les sept personnages (accompagné de deux comparses). Il a écrit la pièce pour Robert Hirsch qui refuse de la jouer. N’ayant peur de rien, et toujours habité par le désir de monter sur les planches, il la met en scène et interprète lui-même les sept personnages, le 28 juin 1978 au théâtre Daunou. Le succès n’est pas au rendez-vous. 74 représentations néanmoins.  Sa dernière prestation théâtrale aura lieu au théâtre Hébertot le 29 septembre 1981, avec Princesse Baraka, pièce qu’il a tirée de L’Argent de la vieille, film de Luigi Comencini. C’est Alice Sapritch qui interprète le rôle de la vieille.

Entre temps, Thomas a dirigé le théâtre Edouard VII de 1970 jusqu’à sa mort et réalisé de nombreux films, La Bonne soupe en 1963 et Patate en 1964. Ses dernières productions cinématographiques n’ajoutent rien à sa gloire ! Mon curé chez les nudistes en 1984, Mon curé chez les thaïlandaises en 1983 et Les Brésiliens au Bois de Boulogne en 1984. Robert Thomas s’éteindra en 1989 d’une crise cardiaque. Son compagnon Jo Poulard ne s’en remettra jamais et se suicidera l’année suivante.

5. Quelques Pièces

PIÈGE POUR UN SEUL HOMME SEUL
Analyse

Daniel, isolé dans un chalet de montagne, informe la police de la disparition de sa femme. Ils n’étaient mariés que depuis un mois, et il était sûr de la voir revenir après une dispute pas plus grave qu’une autre. Le commissaire tente de le rassurer. Il ne trouve pas l’affaire bien importante. Mais un abbé, nouvellement nommé dans le pays, se présente à Daniel, accompagné d’une jeune femme repentante qui se jette à son cou. Pourtant, Daniel affirme que Florence n’est pas sa femme et qu’il ne la connaît pas. Le commissaire croit à un trouble survenu chez Daniel, car tout concourt à prouver que Florence est la femme de Daniel. Et Daniel nie, désespérément…

Critiques

« Robert Thomas, avec un homme seul et un commissaire a imaginé le plus subtil et le plus perfectionné des pièges. C’est  La machine infernale  sur un mode mineur. Plus d’un spectateur s’y laissera prendre lui-même. Ce sera un succès. Christian Alers joue le rôle d’un jeune mari dont l’ épouse vient de disparaître dans de mystérieuses conditions comme si c’était un héros de tragédie, ou, tout le moins, un héros de J-P. Sartre ».
Georges LERMINIER – Le Parsisien Libéré

« Public généreux et naturellement trompé : ce n’était pas ce traître-là, ce n’était pas cette victime-là. Ainsi ressent-on à la fin comme un friselis de déception. Et au fond, je me demande si la comédie policière ne pêche pas surtout pour cette raison. Au théâtre, le spectateur doit toujours  être dans le coup ».
MORVAN-LEBESQUE – Carrefour

« … Ce  piège  a été agencé, machiné, actionné avec une habileté diabolique par l’auteur, M. Robert Thomas, un jeune de la  nouvelle vague théâtrale  (mais qui est aussi doué pour le cinéma à  suspense  que M. Hitchcock lui-même) ».
Paul GORDEAUX – France-Soir


HUIT FEMMES

Analyse

Dans une maison isolée par la neige, un homme est trouvé assassiné. Pour découvrir le coupable, huit femmes vont se livrer, en huis clos, à un jeu de la vérité implacable et pitoyable, à l’issue duquel aucune ne sera épargnée, où toutes les faiblesses, les mensonges et les rancœurs cachées vont apparaître au grand jour, car malgré les convenances et la courtoisie apparente, les huit femmes se détestent ou se jalousent plus ou moins ouvertement.

Critiques

«  Dans une atmosphère qui rappelle un peu celle de  Virage dangereux  de Priestley, chacune des huit femmes accuse et se défend, mais en révélant dur elle-même, presque sans le vouloir, des traits qui incitent à la soupçonner, et en en révélant sur les autres. C’est un déballage général où personne ne paraît innocent ; un implacable coup de sonde, aussi, dans les profondeurs de l’âme féminine ».
Paul GORDEAUX – France-Soir

 « Pièce policière sans policier et sans autre homme qu’une victime invisible,  Huit Femmes  est avant tout une satire de la famille, marquée de misogynie. Elle rejoint, dans son âpreté virulente  Famille je vous hais  de feu André Gide et  Le Nœud de vipères  de François Mauriac. Seulement à cette différence que pour exprimer ce qui l’oppresse, M. Robert Thomas use de l’humour. Un humour qui porte à tout coup. Et à peine venons-nous de rire que nous voici empoignés par le suspense d’une situation dramatique. M. Hitchcock a trouvé là son égal ».
Maurice CIANTAR – Paris-Jour

« Ce mélange détonant de rire dans la frayeur n’est pas tout. Robert Thomas ne néglige jamais la psychologie de ses personnages qui vont toujours se révélant, se nuançant, se retouchant, jusqu’à acquérir une présence de plus en plus réelle, de plus en plus intense, une parfaite autonomie ».
Gilbert GUEZ – Candide

DOUBLE JEU

Analyse

Françoise, charmante et riche jeune femme suisse, a épousé le cynique et effrayant Richard, qui la ruine et la maltraite. Elle apprend soudain que Richard a un frère Michel qui lui ressemble à s’y méprendre – un pauvre type qui sort de prison. Elle décide de se servir de cette ressemblance et va faire jouer à Michel le rôle de Richard, en vue d’obtenir un divorce truqué et ce, sous le nez d’un huissier. Hélas, Michel est trop maladroit et Richard trop malin.

Critiques

« Naturellement, c’est invraisemblable… De la vraisemblance on se moque, l’auteur aussi. Ainsi le veut la comédie. L’humour l’emporte sur le mystère. On est floués mais contents. Guignol n’a pas d’autres vertus ».
Pierre MARCABRU –France-Soir

« Un coup de théâtre assez sensationnel ne survient qu’à 23 heures 20 et jusque-là, la route a paru un peu longuette… À aucun moment, on ne se sent pris, captivé. C’est que les personnages ne sont que des marionnettes dont les actes, purement gratuits, n’ont pas un soupçon de vraisemblance ».
André RANSAN – L’Aurore

 « Robert Thomas ne recule, avouons-le, devant rien. Aucune outrecuidance ne lui fait peur. Mais on n’y croit pas, direz-vous. Qu’on se rassure : lui non plus. Et pourquoi aurait-il peur ? Il fait en se jouant des pièces qui se jouent, sont faites pour amuser, amusent ceux qui les jouent et ceux qui les voient jouer. Le reste est littérature ».
Jean-Jacques GAUTIER – Le Figaro

6.  Œuvres dramatiques

1958 – Que le diable l’emporte – Théâtre Gramont
8-3-1958 – Madame Trait d’union – Nice, Casino Municipal
30-1-1960 – Piège pour un homme seul – Théâtre des Bouffes Parisiens
28-8-1961 – Huit Femmes – Théâtre Edouard VII
24-10-1964 – Le Deuxième coup de feu – Théâtre Edouard VII
8-9-1965 – Deux chats et une souris – Théâtre de la Potinière
18-9-1965 – Assassins associés – Théâtre du Palais Royal
8-8-1966 – La Perruche et le poulet ( d’après Jack Popplewell ) Théâtre du Vaudeville
10-10-1968 – Freddy – Théâtre des Variétés
8-5-1969 – Un ami imprévu ( d’après Agatha Christie ) Comédie des Champs-Élysées
27-9-1969 – La Poulette aux œufs d’or – Théâtre des Capucines
31-10-1969 – Le Marchand de Soleil ( opérette ) Théâtre Mogador
4-9-1970 – Double jeu – Théâtre Edouard VII
3-1-1973 – Aurélia – Théâtre Daunou
18-10-1974 – La Chambre mandarine – Théâtre des Nouveautés
15-3-1976 – La Louve – Amsterdam
1977 – Le Corbeau et la grue – Pologne
1-7-1978 – Les Bâtards – Théâtre Daunou
29-9-1981 – Princesse Baraka ( d’après L’argent de la vieille film de Luigi Comencini ) Théâtre Hébertot

7. Extrait

PIÈGE POUR UN HOMME SEUL

DÉCOR UNIQUE

La salle de séjour dans un chalet aux environs de Chamonix. Ameublement rustique, etc. Une porte conduit à l’office, un petit escalier aux chambres. Au fond, grande baie avec terrasse et panorama alpestre. Un bel automne.
Fin d’après-midi. Soleil pourpre.
Un certain désordre règne dans la pièce. Daniel, enveloppé dans une robe de chambre, est allongé sur le grand divan et lit un magazine. Il se sert copieusement du whisky et boit entre les bouffées de sa cigarette.
Un bruit de voiture qui s’arrête et une portière qui claque.
Daniel se dresse d’un bond et va à la baie.
Apparaît le commissaire de police.

Daniel : Bonjour, monsieur le Commissaire… Entrez…

Le Commissaire : Je ne fais que passer, monsieur Corban.

Daniel : Alors ? Alors ?

Le Commissaire : Alors… rien !

Daniel : Comment rien ?

Le Commissaire : Aucune nouvelle.

Daniel : Vous faites 5 kilomètres de Chamonix à ici pour m’annoncer que vous n’avez pas fait d’enquête ?

Le Commissaire : J’ai fait un rapport. Il suit son cours.

Daniel : Il suit son cours. Je n’en ai rien à faire. Ce que je veux, ce sont des résultats. Avez-vous des nouvelles de ma femme ? Oui ou non ?

Le Commissaire : Je vous en prie, ne criez pas, Monsieur, ou je repars !

Daniel : Je vous demande pardon. Asseyez-vous…

Le Commissaire : Je n’ai pas le temps. Je viens de Saint-Jean et, en rentrant sur Chamonix, j’ai cru bon de vous faire une visite de politesse… pour voir comment vous vous portiez. Seulement votre accueil n’est pas particulièrement aimable ! Alors, si je vous dérange…

Daniel : Monsieur le Commissaire, je vous présente mes excuses.

Le Commissaire : Je les accepte. Vous n’êtes pas de bonne humeur, mon vieux, et je le comprends. Mais ne vous torturez pas l’esprit ! Votre femme reviendra. Une fugue, ce n’est qu’une fugue… Il doit y avoir en France, par an, au moins dix mille maris quittés par leurs femmes… et tout s’arrange dans 99 % des cas.

Daniel : Qu’avez-vous fait, vraiment fait, pour la retrouver ?

Le Commissaire : Ah ! mon vieux, la police n’est pas chargée de ramener par l’oreille les épouses infidèles !

Daniel : Ma femme ne m’est pas infidèle ! Elle est partie après une dispute et elle est partie seule !

Le Commissaire : Sait-on jamais ! J’ai transmis à la préfecture votre déclaration : « Vous êtes sans nouvelles de votre femme, en fuite depuis dix jours et vous ne répondez pas des dettes qu’elle pourrait contracter en votre nom, étant mariés sous le régime de la communauté. » ( Daniel boit ) Et évitez l’alcool !

Daniel : Oh !… Voulez-vous prendre un verre ?

Le Commissaire : Non, merci ! Est-ce que vous buvez toujours comme ça ?

Daniel : Oh ! un peu !

Le Commissaire : Votre femme ne serait-elle pas partie pour cette raison ?

Daniel : Oh ! non !

Le Commissaire : Vous vous disputiez souvent ?

Daniel : Quelquefois. Comme tous les jeunes mariés. C’est trop bête… Je sais qu’elle boude… elle va revenir.

Le Commissaire : Où pensez-vous qu’elle soit allée ? Avez-vous écrit quelque part ?

Daniel : J’ai écrit chez elle, à Paris, où elle à un appartement. Je dis chez elle, c’est chez nous, mais comme je n’y ai pas encore mis les pieds… Ma lettre m’est revenue comme je vous l’ai dit. La concierge a l’ordre de faire suivre le courrier ici. Alors !

Le Commissaire : Des parents ? Des amis ?

Daniel : Nous n’avons pas d’amis réguliers, et pour ce qui est de la famille de ma femme (moi, je suis orphelin), je ne la connais pas encore. Nous ne sommes mariés que depuis trois mois. D’ailleurs. elle voit très peu ses parents. De vagues cousins et oncles riches et ennuyeux, paraît-il ! Elle les fuit.

Le Commissaire : Où pourrait-elle être ? Vous n’avez pas la moindre idée ?

Daniel : Bah ! À Cannes ou à Deauville. Avec tous les copains de rencontre. Elle s’ennuie comme je m’ennuie. Et elle ne veut pas céder… Je la connais, mon Elisabeth ! Moi, si je savais où elle se trouve, je serais déjà parti… Mais j’ai peur de quitter le chalet… Elle peut téléphoner ou revenir pendant mon absence !

Le Commissaire : Elle va revenir, monsieur Corban. Je vous conseille d’attendre son retour ici. Elle va débarquer comme ça, sans crier gare. Ne vous inquiétez pas. De toute façon, si on nous la signale accidentée ou décédée, je vous avertirai tout de suite.

Daniel : Quoi ? Vous êtes fou, non ?

Le Commissaire : Ce sont des choses qui arrivent.

Daniel : Ah ! non, non, ça serait horrible ! Tout serait de ma faute. Elisabeth est tellement mieux que moi. Elle a tellement fait pour moi, et moi je lui ai rendu la vie impossible. Voilà la vérité. Elle ne reviendra plus…

Le Commissaire : Mais si ! Et ça vous servira de leçon…

Daniel : Ça, oui !

Le Commissaire : Avez-vous besoin de quelque chose?

Daniel : Non, merci.

Le Commissaire : Vous arrivez à vous débrouiller tout seul dans ce chalet ?

Daniel : Je téléphone à l’épicerie. On me livre le ravitaillement. D’ailleurs, pour ce que je mange !

Le Commissaire : Écoutez-moi : vous êtes jeune. Même si elle ne revient pas, ne gâchez pas votre vie… Rien ne vaut la peine d’un sacrifice. Vous vous êtes marié en juin, elle vous quitte en septembre. Trois mois, c’est une goutte d’eau dans toute une existence !

Daniel : Facile à dire…

Le Commissaire : Soyez philosophe ! Avec ce genre de femmes riches et capricieuses, d’une éducation différente de la nôtre, il faut abdiquer… Elle vous demandera le divorce par correspondance… c’est classique…

Daniel : Quoi ? Divorcer ? Ce serait le bouquet ! Alors qu’elle m’a supplié… Je ne voulais pas l’épouser… J’avais des complexes. Et elle me ferait ça ! Voila ! vous êtes venu pour ça ! Allez ! Donnez-moi le papier que vous avez dans la poche que je le signe. Donnez-le-moi ! Que je la délivre de moi, cette garce… Tant pis si j’en crève… Allez… donnez-moi le papier !

Le Commissaire : Je n’ai pas de papier de divorce à vous proposer ! Je vous ai dit. que. je n’avais pas de nouvelles de Mme Corban, c’est la vérité, et je ne mens jamais, moi, Monsieur.

Daniel : Ah bon! Attendons alors des nouvelles de cette chère Elisabeth et achevons les vacances dans ce chalet avec l’espoir de la joie du retour. ( Il boit sec et se met à chanter et brailler, goguenard ) Reviens… veux-tu ? Ton absence a brisé ma vie… ( Il s’écroule sur le divan pleurant )je le l’aime toujours, comme un imbécile !

Le Commissaire : Ah! misère! C’est pas beau à voir!

( Il enlève la bouteille de sa portée, lui tape sur l’épaule, soupire et il sort, philosophe.
On entend la voiture de la police qui part. Daniel s’allonge et s’assoupit. Une pendule sonne 5 heures. A la terrasse, on voit arriver l’abbé Maximin. C’est un jeune homme, avec un visage ouvert et sympathique. Il frappe au carreau puis, voyant Daniel, il s’avance et le regarde avec un sourire. Enfin, il touche le bras du dormeur. Daniel se retourne en sursaut, avec un petit cri, qui fait rire l’abbé. )

Daniel : Heu ?

Maximin : Bonjour. Monsieur… ou plutôt bonsoir.

Daniel : Bonsoir Monsieur le Curé.

Maximin : Vous dormiez comme un ange. J’avais scrupule à vous réveiller !

Daniel : Non, non. Je ne dormais pas, je…

Maximin : Vous êtes bien monsieur Corban, Daniel Corban, n’est-ce pas?

Daniel : Oui.

Maximin : Je connaissais la maison et la propriétaire, mais pas le propriétaire. Je me présente. Je suis l’abbé Maximin, je remplace depuis quelque temps le curé du village de Saint-Jean. Sans doute connaissez-vous M. le curé Simonat ?

Daniel : Non. Je n’habite pas ici. Je suis en vacances. Le chalet ne m’appartient pas.

Maximin : Ah oui ! parfaitement.

Daniel : Mais asseyez-vous, monsieur l’Abbé. Vous prendrez bien un verre de quelque chose avec moi ?

Maximin : Je ne dis pas non. L’automne est frais.

Daniel : Cognac?

Maximin : Oui, un peu de cognac… Je me suis permis de frapper à votre porte, car j’ai une image pieuse à remettre à Mme Corban.

Daniel : Une image?

Maximin : C’est une tradition dans nos églises de montagne. On donne une image bénie quand on reçoit un don.

Daniel : Ma femme vous a fait un don ?

Maximin : Oui, l’autre semaine, au cours de ma visite des chalets d’estivants. J’ai reçu d’elle 20.000 francs. C’est une somme ! Votre femme est la bonté même, Monsieur.

Daniel : Sans aucun doute.

Maximin. Voici l’image. Daniel : Et voici le cognac ! ( Ils échangent avec un petit sourire ) Est-ce que ça porte bonheur, cette image ?

Maximin : Oh ! bonheur ! Dieu seul est juge !

Daniel : Eh bien! je la donnerai à ma femme… si je la revois… car la généreuse donatrice est partie, monsieur l’Abbé. Elle a fichu le camp de la maison. Une belle garce, oui. À sa santé. ( Il boit sec )

Maximin : Je suis désolé ! Mon cher ami, croyez-moi… lorsqu’on a la chance dans la vie…

Daniel : Oh! pas de sermons, s’il vous plaît.

Maximin : Je ne compte pas vous faire un sermon ! D’ailleurs, les sermons c’est vieux jeu. À présent, les jeunes abbés font de la psychanalyse… Ça fait « nouvelle vague » en diable ! Enfin… « en diable »… façon de parler.

Daniel : Tiens, vous me faites rire !

Maximin : C’est le but de ma vie : Faire rire! Le rire tue les microbes du cœur… ( Un temps ) Puis-je vous poser une question?

Daniel : Oui, je vous en prie.

Maximin : Aimez-vous toujours votre femme cette escapade?

Daniel : Hélas oui !

Maximin : Vous vous êtes mariés à l’église, j’espère ?

Danielperdu soudain dans ses souvenirs: Oui, Monsieur l’Abbé. Rassurez-vous. Au mois de juin. Un amour de vacances qui se transforme en mariage… Le temps de publier les bans… une petite église au fond des pins… Elle et moi, et deux vieux clochards comme témoins. Le voyage de noces à Venise… Elle y était déjà allée, mais pas moi. C’était merveilleux. J’étais heureux. Un de mes amis m’écrit là-bas et me propose de me prêter son chalet en. Savoie. Quelle aubaine ! On s’installe ici et, face à face, dans la solitude, on se heurte. On se récon­cilie, et le deuxième soir, encore une dispute. Elisabeth fait sa valise et disparaît. Je pense qu’elle va revenir. Non ! Non !… il y a de cela dix jours. Et cet imbécile de commissaire ne trouve rien de mieux à me dire que « si elle avait eu un accident, ça se saurait », ou alors « elle va peut-être divorcer par correspondance ». Il y a de quoi devenir fou.

Maximin : Mon fils, comme disent les curés de campagne, votre peine est sincère… elle me touche. Seriez- vous prêt à recevoir votre femme ici, sans cri, sans reproche?

Daniel : Comment? Eh bien, oui.

Maximin : Alors vous méritez la bonne nouvelle que je vous apporté. Votre femme est de retour !

Daniel : Qu’est-ce que vous dites?

Maximin : À la prière de quatre heures à Saint-Jean, dans l’église, je vois une, dame en larmes Je reconnais Mme Corban. Je la confesse amicale­ment. Elle n’ose pas revenir près de vous craignant votre ressentiment. Alors je lui dis : « Dès que je suis libre, j’en fais mon affaire » et me voilà !

Danielses jambes lui manquent. Il s’assoit : Ma femme est dans votre village ?

Maximin : Non. Elle est derrière la maison… à vingt mètres de vous… et nous attendions avec impatience le départ de votre visiteur.

Daniel : C’est pas vrai ? C’est pas vrai ? ( il se trouve presque mal et tombe sur le divan )

Maximin : Allons ! allons ! Que je suis sot de vous avoir dit cela brutalement. Respirez ! Vous n’avez pas d’eau de Cologne ?

Daniel : Dans le tiroir de la commode

L’abbé va à la commode et, de dos, fouille dans les tiroirs. Ayant enfin trouvé l’eau de Cologne, il fait un geste de la main à la fenêtre, puis redescend frictionner Daniel, toujours sous le coup ; de l’émotion. Il lui passe de l’eau de Cologne sur la poitrine. Paraît une jeune femme à la porte .Manteau de voyage et petite valise.

Maximin : Monsieur Corban, regardez !

Danielse lève et fait un pas : Oh! ce n’est pas vrai !

Florencedans une grande émotion se jette dans ses bras : Mon chéri, mon Daniel, nous allons être heureux… Merci de me reprendre à la maison. Tu es bon… Merci, monsieur l’Abbé. Je suis. heureuse. (Elle sort vite vers la chambre.)

Maximin, après un temps : Voilà !

Danielahuri : Mais… ce n’est pas Élisabeth.

Maximin : Comment ?

Daniel : Cette femme n’est pas ma femme.

Maximin. Comment, cette femme n’est pas votre femme ? Qu’est-ce que vous me racontez?

Daniel : Elle entre et me parle comme si… mais je ne la connais pas.

Maximin : Vous vous moquez de moi.

Daniel : Est-ce que j’en ai l’air ?

Maximin : Comment pouvez-vous dire ?… Écoutez vous m’avez promis de ne pas faire d’histoires, ce n’est pas gentil. Votre femme est là. Ma mission est accomplie. Le reste vous regarde.

Daniel : Monsieur l’Abbé, ne me laissez pas seul, je ne connais pas cette femme…

Maximin : Ce n’est pas Mme Corban ?

Daniel : Non.

Maximin : Vous êtes certain.

Daniel : Absolument.

Maximin : Vous êtes encore sous le coup de l’émotion.

Daniel : Non, non… cette femme est une aventurière, une folle. (Il crie) Madame, descendez Madame…

Maximin : Allons, allons, calmez-vous. Asseyez-vous, mon ami.

Daniel : Priez-la de sortir de chez moi et ramenez-la où vous l’avez trouvée.

Maximin : Oui, c’est ça. ( Il appelle ) Madame Corban, voulez-vous descendre, je vous prie ? ( À Daniel ) Dites-moi, êtes-vous sujet à des troubles, des absences ?

Daniel : Ça jamais !… Pourquoi me posez-vous cette question ? Vous ne me croyez pas ?

Maximin : Mais si, voyons !

Daniel : Cette femme n’est pas Élisabeth. Enfin, ce n’est pas la femme qui, ici, l’autre semaine vous a fait la charité ?

Maximin : Mais… si, Monsieur. C’est cette dame, excusez-moi ! Restez calme, votre cauchemar est fini. Votre femme est revenue.

Daniel : Qu’est-ce qui m’arrive ?

Florence redescend : Ah ! qu’il fait bon rentrer chez soi. Je n’ai passé que deux jours dans ce chalet et je le regrettais déjà. Oh! cette montagne ! Tiens, il faudra donner à boire à la grosse plante verte. J’ai l’impression qu’elle dépérit.

Daniel : Madame, je ne sais pas, mais…

Florence : Un instant, mon chéri. Je prends congé de mon bienfaiteur… ( À l’abbé ) Que Dieu vous porte en compte la bonne action que vous venez de faire.

Maximin : Oh ! Madame, ce n’est rien !

Florence : Pour votre paroisse. ( Elle lui tend une enveloppe )

Maximin : Oh Madame Corban,. c’est trop gentil.

Florence : L’argent n’a aucune importance, le cœur seul compte.

Daniel : Qui êtes-vous ?

Florence : Tu es pâle, mon ange, assieds-toi. Je vais te préparer à dîner. As-tu suivi ton régime ? Il me semble qu’il y a beaucoup de bouteilles. Le docteur t’a pourtant défendu de boire. Tu sais bien pourquoi ?… Mais si, tes nerfs, tes dépressions…

Daniel : Quoi mes nerfs ? Quoi, mes dépressions ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

Maximin : Ah ! c’est donc ça !

Florence : Mais ce n’est pas grave, quelques malaises sans gravité qui passent vite en général. Chéri… C’est moi !

Daniel interdit : Pourquoi cette comédie ? Ma femme est absente. Que me voulez-vous ? Pourquoi jouer ce rôle ?

Florence : Je n’aurais jamais dû partir, Regardez dans quel état je le retrouve.

Daniel : Monsieur l’Abbé, on vous dupe, on abuse de votre bonne foi pour m’accuser de folie! Cette femme est une aventurière ! Je ne la connais pas ! ( Il prend Florence par le bras et la bouscule vers la sortie ) Dehors !… Dehors !… Dehors !

Florence : Daniel !… Daniel !